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les idées et les mœurs.

n’échappe[1] appauvrissent la langue. Il y a des époques où tout s’énonce clairement, les mots ne servant qu’à exprimer des idées. Il y en a d’autres où les mots remplacent les idées, où l’on s’applique à les ranger d’une manière ingénieuse, piquante, harmonieuse. Il y en a enfin où les idées semblent à ce point compliquées qu’il n’existe pas assez de mots pour les traduire. On en invente de nouveaux ; on en emprunte aux langues étrangères. L’écrivain les accumule en gradations pénibles. Mettre son idée à la portée du lecteur semble exiger de sa part un effort excessif de simplification. Si l’on se donne la peine de percer à jour cette fantasmagorie, la pensée centrale apparaît toute simple, toute facile à dire, réduite à ce qui, en d’autres temps, se fût exprimé très brièvement. À lire certains de nos auteurs modernes, vous vous croyez ramené aux beaux jours de la scolastique, tant ils prennent plaisir à compliquer et à embrouiller toutes choses[2].

On ne saurait dire combien de temps il eût fallu pour que l’excès de tels maux déterminât une réaction. Les courants littéraires se forment avec une lenteur extrême. Les Français, par ailleurs, se lassent moins vite que d’autres de ce qui les divertit. Aussi le relèvement qui se manifeste, depuis quelques années, dans l’inspiration et dans les

  1. Un poète, membre de l’Académie française, s’écrie, en réponse à la question que lui pose un journaliste : « Moi, député ! J’irais me noyer dans les torrents de salive politique ! me confondre dans la tourbe des bavards et des imposteurs ! » Quand un acudémicien se permet de semblables expressions, on ne saurait s’étonner que le commun des mortels en fasse abus.
  2. Le décadentisme et le symbolisme ne sont que des formes de cette maladie du langage produite par l’exagération du terme et le besoin de toujours renchérir. C’est ainsi qu’on arrive à dire d’une œuvre vivante, qu’elle est « saignante de vie », et qu’un récit captivant devient « intéressant comme un jaillissement de lave ».