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les idées et les mœurs.

dante sinon du talent, du moins de la réclame. Cette réclame, ils la réalisent par des moyens multiples. Le pessimisme noir de leurs conclusions attire l’attention sur eux, ainsi que le choix qu’ils font de sujets excentriques ou répugnants. « Il y a aujourd’hui au théâtre, dans la poésie, dans le roman, écrit M. Legouvé[1], une école bien étrange. Les chefs de cette école ont pour objet l’étude de l’âme humaine, mais dans cette étude ils ne s’attachent qu’à ce qui est morbide. Pour eux, la santé morale, les sentiments simples et naturels ne comptent pas. » Dès que leur notoriété le leur permet, ils montent eux-mêmes sur la scène, se substituant à leur œuvre. Le cabotinage littéraire est sans limites : un romancier en renom qui se déplace prend des allures de chef de mission ; il communique ses itinéraires au public à l’avance, pour donner le temps aux étrangers qu’il va honorer de sa visite de lui préparer de glorieuses réceptions ; les frontières franchies, il demeure en rapports télégraphiques avec les journaux de son pays et leur adresse, après chaque banquet, des bulletins de victoire qui rappellent ceux de la Grande Armée. Aux échelons inférieurs de la célébrité, on a recours à des revues d’admiration mutuelle, dont les collaborateurs s’encensent à tour de rôle le plus sérieusement du monde. Ils se qualifient entre eux « d’hommes puissants », et lorsqu’en quelque pamphlet l’un d’eux répand contre la société le fiel dont son âme est remplie, on dit de lui qu’il est « l’adversaire fatal des institutions du siècle ». Ces exagéralions perpétuelles auxquelles nul

  1. E. Legouvé, Jean-Jacques Rousseau. (Le Temps du 9 juillet 1895.)