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la nation armée.

la forme est bien plus active. On se préoccupe de savoir si la diffusion des théories est rapide ou lente ; on oublie d’observer leur mise en pratique partielle ou locale. L’idée socialiste rencontre peut-être un adversaire sur dix ; l’hostilité des neuf autres vient de ce qu’ils croient à l’impossibilité de son application. Or il est difficile de ne pas voir qu’en devenant réalité, la doctrine de la nation armée, si longtemps traitée d’utopie, a aidé plus qu’aucune autre prédication à l’avènement du socialisme[1].

L’organisation de la France, à l’heure présente, est unique. Il n’en a jamais existé de semblable ; on n’a même jamais admis qu’il pût en exister. La Russie et l’Allemagne sont des monarchies militaires. La France est une démocratie dont la guerre n’est point le but, qui, tout au contraire, s’attache aux œuvres de paix et maintient au premier rang de ses préoccupations le développement de ses ressources intellectuelles, de sa richesse, de son perfectionnement social. Or les citoyens de cette démocratie consentent, depuis vingt ans, à prélever pour le bien collectif une forte part de leur avoir, de leur activité et de leur liberté, et ce consentement est si unanime et si définitif que le jeune Français éprouve une sorte de soulagement de conscience à satisfaire à une loi draconienne que ratifient sans cesse son entrain et sa bonne volonté. En entrant au régiment, il sait qu’à moins de circonstances imprévues, il n’aura pas à se battre ; mais il prépare la défense du sol : la confiance de la patrie est faite, pour une part, de sa

  1. Voir, dans la Deutsche Revue du 4 mars 1893, une très curieuse lettre de M. le baron de Courcel, ancien ambassadeur de France à Berlin, en réponse à une enquête sur la possibilité d’un désarmement.