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la nation armée.

de leur importance ; il en est résulté un grand bien pour la nation en général ; le paysan avait besoin d’être soustrait à l’influence abêtissante de la terre ; l’ouvrier, aux mirages trompeurs des théoriciens qui l’endoctrinent ; le bourgeois, à l’isolement que lui procurent son rang ou sa fortune. La promiscuité du régiment a fait cela ; les corvées accomplies, les punitions subies, les forces dépensées côte à côte avec une perpétuelle rivalité de bonne humeur et d’énergie ont amalgamé la jeunesse, lui enlevant, pour une période, la notion de tout ce qui la divise.

Mais, individuellement, l’effet physique et moral n’a pas été le même pour les uns et pour les autres. Pour la bourgeoisie, le service obligatoire a été l’ancre de salut. Étiolé par l’éducation toute cérébrale et antihygiénique qu’il a reçue, le jeune Français des classes aisées possède souvent tout juste assez de force et de santé pour résister aux premières fatigues de la vie militaire, mais il en sort transformé, méconnaissable, endurci et reposé tout à la fois, les membres fortifiés et le cerveau pacilié. La nouveauté de son existence, le désir d’être gradé le plus tôt possible, l’ont sauvegardé moralement, et il conserve de son passage sous les drapeaux le souvenir de quelque chose de rude et de sain qui a délicieusement rafraichi sa vie[1]. Le paysan et l’ouvrier n’en retirent pas les mêmes avantages ; ils n’ont pas, comme leur camarade, des excès de pensée qui leur fassent apprécier la fatigue physique qu’on leur impose ; ils servent de leur mieux, mais sans prendre un très vif intérêt à ce qu’ils apprennent, et leurs heures de

  1. L’effet pourrait être rendu encore plus considérable par une pratique plus intelligente et plus surveillée des lois de l’hygiène.