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la nation armée.

cratiques ! Mais les républicains repoussèrent la tentation. Ils acceptèrent toutes les conséquences, toutes les difficultés de la situation. La patrie passa d’abord, la République après. Leur exemple fut suivi, et une très noble et très simple alliance ne tarda pas à se sceller entre eux et leurs adversaires. Chaque fois que les intérêts professionnels de l’armée se trouvèrent en jeu, on vota comme Français, sans distinction de parti.

Ce résultat est dû à la transformation du patriotisme, devenu une sorte de religion nationale. Il est nécessaire d’étudier cette religion-là, parce que son rôle dans la période présente a été si considérable qu’on peut comparer ses effets sur le monde moral à l’action qu’ont exercée, dans le monde matériel, les applications pratiques de la vapeur et de l’électricité. Seulement, si la chose est nouvelle, le mot est ancien. On l’a employé si souvent, à tort et à travers, que le patriotisme apparaît comme un sentiment intransformable, faisant partie du patrimoine même de l’humanité. Il est naturel à l’homme de respecter ses parents et d’aimer ses enfants ; il semble non moins naturel qu’il aime sa patrie. On ne réfléchit point qu’il n’a pas toujours eu une patrie, que la tribu judaïque, la famille romaine, la cité grecque, la royauté franque n’équivalaient nullement à ce qu’aujourd’hui nous appelons la patrie.

Ce n’est pas l’ancienne Égypte qui a pu connaître le patriotisme : « De la mer à la première cataracte, à Philæ, on pourrait délimiter cinq à six pays différents, écrit M. Marius Fontane[1] ; l’idée de patrie ne pouvait pas se

  1. Marius Fontane, Les Égyptes.