Page:Coubertin - L Evolution Francaise sous la Troisième République, 1896.djvu/330

Cette page n’a pas encore été corrigée
309
la république et l’église.

Au lieu de ne reconnaître pour ses enfants que ceux qui prennent part à la célébration de ses mystères, le christianisme va-t-il donc réclamer comme siens les hommes qui s’inspirent de lui, selon l’esprit ? En France, particulièrement, ceux-là sont légion[1]. La raison, à laquelle le Français obéit si volontiers, en est arrivée à établir la nécessité du sentiment religieux. La science se montre impuissante à le remplacer. Si l’on regarde autour de soi, on voit combien est profond, à notre époque, le sentiment religieux. Jamais le sens moral n’a été aussi développé, les principes moraux mieux admis ni plus pratiqués. Tout cela est-il la préface de quelque forme nouvelle de religion, ou bien, par une marche forcée, audacieusement entreprise, le christianisme va-t-il rejoindre ces masses populaires qui s’enfonçaient sans lui dans l’avenir ? Question palpitante ! Il s’agit de savoir, en fin de compte, si l’esprit de tolérance va agir sur les âmes après avoir forcé sa route à travers les institutions ; et combien lentement ! Platon l’ignorait, et « dans les républiques anciennes il ne s’est pas trouvé un chef d’État qui ait imaginé qu’on pût écrire dans la loi que les citoyens étaient libres de pratiquer la religion qu’ils voulaient ». — « Pendant toute la durée de la domination romaine, a dit encore M. Gaston Boissier, je ne vois pas un seul sage, fût-il un sceptique comme Pline l’Ancien, un libre penseur dégagé de tous les préjugés comme Sénèque, un philosophe honnête et doux comme Marc-Aurèle, qui ait paru soupçonner qu’on pourrait

  1. La troisième République a compté de grands citoyens en qui on a paru voir des adversaires de la religion alors qu’ils avaient au plus haut point l’esprit chrétien. Parmi ceux-là Auguste Burdeau mérite d’être cité au premier rang.