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la crise (1885-1889).

pouvait, dans l’esprit d’aucun homme raisonnable, y avoir de doute sur la légitimité de la célébration d’un semblable anniversaire. Assurément on n’eût pas compris que la France, même monarchique, pût s’abstenir de rendre hommage aux grandes et nobles idées sous l’impulsion desquelles avait été inaugurée une évolution nécessaire et bienfaisante, dont le cours des événements transforma malheureusement le caractère en celui d’une révolution sanglante. Dès 1886, le prince impérial d’Allemagne (depuis Frédéric iii), recevant à Berlin M. Antonin Proust, louait, devant lui, les intentions déjà connues de notre gouvernement et parlait de 1789 comme d’une « grande date » dont le centenaire méritait d’être célébré[1]. Il y a longtemps, en effet, que la Révolution française est entrée dans le domaine de l’histoire et que les princes ont fait la paix avec sa mémoire. Quant aux peuples, ils n’ont pas oublié ce dont ils lui sont redevables. On peut presque soutenir ce paradoxe, qu’en cette circonstance, c’eût été aux nations étrangères à prendre les devants : la Révolution française a été semblable au feu ; tout le monde s’y chauffe ; celui qui l’allume est seul à se brûler les doigts.

L’Europe, toutefois, n’avait pas assez confiance en notre sagesse pour se sentir pleinement rassurée sur la façon dont nous entendions fêter le centenaire. Elle pressentait vaguement la théorie du « bloc », que M. Clemenceau formula dans la suite, et se demandait si notre invitation ne l’exposait pas à nous voir confondre dans un même élan d’enthousiasme patriotique le 5 mai avec le 10 août, et

  1. Les capitales du monde : Berlin, par M. Antonin Proust.