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la france coloniale.

Le premier effet de l’apathie et de l’indifférence de l’opinion par rapport aux colonies, c’est la difficulté de trouver de bons fonctionnaires pour les administrer et de bons colons pour les mettre en valeur. Les Anglais envoient au loin des hommes d’élite, qu’ils revêtent d’une autorité véritable et dont les fonctions sont rémunératrices autant que considérées. Le fonctionnaire colonial français, au contraire, se croit en exil ; sa carrière est peu estimée : il demeure au second plan. Quant au colon, il lui faut une dose d’énergie tout à fait rare pour entreprendre son dur labeur ; et pour y réussir, des hasards particulièrement favorables. Beaucoup de gens prétendent que le Français est, de sa nature, un mauvais colonisateur. Rien n’est moins prouvé[1]. Mais l’éducation qu’il reçoit lui en donne, en tout cas, les apparences. Elle brise son initiative, réprime ses énergies, le forme à la crainte et à l’obéissance, en un mot le façonne au rebours de ce qui convient à un futur colon.

Enfin, avant de se lancer dans les entreprisès coloniales, il importait de savoir ce qu’allait être la politique économique de la République. Si la métropole est libre de choisir entre le protectionnisme et le libre-échange, l’est-elle d’appliquer le régime de son choix à ses dépendances d’outre-mer ? Sans le libre-échange, la plupart des colonies ne peuvent prospérer et beaucoup ne peuvent même exister.

  1. Tocqueville a écrit, dans la Démocratie en Amérique, t. ii, ces lignes qui demeurent vraies, aujourd’hui encore : « J’ai vu moi-même, au Canada, l’Anglais, maître du commerce et de l’industrie, s’étendre de tous côtés et resserrer le Français dans des limites trop étroites. » Mais les Canadiens sont placés dans des conditions d’infériorité réelle par la compression morale et intellectuelle qu’ils subissent.