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que les Magyars n’ont point dégénéré ; on pouvait s’y attendre. L’énergie merveilleuse qu’ils déployèrent pendant la guerre de 1848-1849 et la sagesse dont ils donnèrent les preuves pendant la période qui suivit leur défaite suffisaient à garantir leur avenir. Les statistiques indiquent que l’accroissement de population — qui est considérable — est dû surtout à la fécondité de la race, mais pour une part aussi à son pouvoir d’assimilation. Quelles que soient donc les difficultés intérieures avec lesquelles, après trois siècles et demi d’oppression, le gouvernement magyar se trouve aux prises, la situation apparaîtrait sous un jour favorable si la question des « langues » ne venait la compliquer singulièrement.

L’homogénéité géographique de la Hongrie ne se double pas d’une homogénéité ethnique. L’esplanade de la forteresse est aux Magyars ; d’autres peuples occupent les remparts : Slovaques et Ruthènes sur la crête des Karpathes, Roumains en Transylvanie, Serbes sur la rive gauche du Danube, Serbo-Croates le long de la Drave. La diversité des cultes n’est pas moindre que celle des races : grecs-orthodoxes, grecs-unis, catholiques romains, calvinistes, luthériens, unitariens vivent juxtaposés et parfois mêlés les uns aux autres. En vertu de leur maxime favorite : « Diviser pour régner », les Habsbourg exploitèrent cette situation ; ils accordèrent aux Roumains de Transylvanie un patronage platonique et les habituèrent à regarder du côté de Vienne sans jamais leur donner un secours effectif contre la tyrannie d’ailleurs trop réelle de la noblesse magyare. Cette politique avait le double avantage d’affaiblir les deux partis en entretenant leurs dissentiments et de détourner l’attention de la Diète transylvanienne de ce qui se passait au dehors. L’Empereur n’avait garde d’oublier que le voïvode de Transylvanie, Jean Zapolya, concurrent de Ferdinand d’Autriche à la succession de Louis II, avait failli devenir roi de Hongrie. Mêmes procédés avec les Serbes. En 1339, après la bataille de Kossovo, dans laquelle sombra l’empire serbe, une émigration des vaincus avait commencé qui, très lente au début, fut encouragée par l’Autriche dans ce double but d’assurer la défense de l’Empire contre les Turcs et d’opposer aux Magyars, dans leur propre pays, une population qui ne parlait pas leur langue et pratiquait un autre culte. Les Serbes étaient d’admirables soldats : en retour des services qu’ils rendaient et pour les inciter à passer le Danube en plus grand nombre, on leur promit une indépendance presque complète, mais on s’abstint de défendre ensuite cette indépendance contre les Magyars qui, regardant, non sans quelque raison, les Serbes comme des intrus, prétendaient les mettre hors la loi.

Frères des Serbes par le sang, mais fidèles à l’Église romaine et dominés par un clergé riche et puissant, les Croates étaient unis à la Hongrie par des liens politiques qui dataient du roi Koloman. Le royaume « triunitaire » de Croatie, Slavonie et Dalmatie, était gouverné par la Diète d’Agram et par le Ban, sorte de vice-roi jouissant d’une autorité assez considérable ; certaines lois votées à Presbourg devaient l’être aussi à Agram et des représentants de la Diète croate siégeaient à la Diète hongroise. Avec le temps des