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l’élection de Ferdinand d’Autriche marque-t-elle l’ouverture d’un conflit qui devait durer près de 350 ans. Avec une inlassable persévérance, les Habsbourg travaillèrent à implanter en Hongrie le despotisme civil et religieux qui constituait leur programme de gouvernement ; tantôt ils l’ensanglantèrent comme Léopold ier, tantôt ils l’enserrèrent comme Joseph ii ou François ier dans le réseau de fer d’une administration centralisée. Les comitats furent soumis à des fonctionnaires impériaux ; de longs intervalles se passèrent sans que la Diète pût s’assembler. Pendant toute cette période, les révoltes furent incessantes et la plupart aboutirent à des traités qui consacraient à nouveau l’autonomie nationale, mais dont les clauses cessaient vite d’être observées. Le loyalisme magyar dépensait, d’ailleurs, avec prodigalité, au service de l’Empire, l’or et le sang du pays ; seulement, dès que la guerre prenait fin, l’Empereur, n’ayant plus à ménager ses « fidèles sujets », les replaçait avec empressement sous l’oppression de son joug paternel. Un tel régime, s’il n’affaiblit point le patriotisme d’une race bien trempée, ébranle néanmoins ses institutions. Non seulement tout progrès devient impossible, l’activité générale s’employant à défendre les résultats acquis, sans cesse remis en question, mais ces résultats eux-mêmes finissent par se trouver compromis. Il en est des mécanismes politiques et sociaux comme de tous les mécanismes : un mouvement régulier leur est seul favorable, les saccades et les intermittences les dérangent.

En se reportant aux débats dont la Diète hongroise fut le théâtre entre 1825 et 1835, on peut mesurer le terrain perdu. À cette époque, il y eut comme un réveil de la nationalité magyare, assoupie comme tant d’autres, à la suite des luttes titanesques qui avaient mis aux prises avec l’Europe entière la Révolution française et Napoléon, son héritier. La Hongrie constitutionnelle ressemblait au château de la Belle au Bois dormant, avec ses ferrures rouillées, ses panneaux déjetés, sa moisissure et ses toiles d’araignée ; les abus s’y étaient répandus : la noblesse avait mis la main sur les comitats et démesurément accru ses privilèges ; la corporation enchaînait l’ouvrier comme la terre le paysan. Les travaux publics étaient en retard, l’enseignement végétait. Sous l’énergique impulsion de Szechenyi, de Nagy, de Kossuth et de leurs amis, l’esprit public se réforma et la vieille bataille recommença. Car, décidément, les Habsbourg n’avaient rien oublié ni rien appris. La crise de 1848 elle-même, qui mit la dynastie à deux doigts de sa perte, fut impuissante à dessiller leurs yeux. Quand, à l’aide des Russes, la Hongrie eut été terrassée, Schwartzenberg reprit l’œuvre de Metternich en y apportant seulement un peu plus de brutalité et un peu moins d’hypocrisie. Il fallut Solferino et surtout Sadowa pour que François-Joseph se vît enfin forcé de restituer à la Hongrie son autonomie totale — et de s’appuyer sur elle.

Bien que plus d’un quart de siècle se soit écoulé depuis le grand événement qui réalisa, au centre de l’Europe, une triple émancipation germanique italienne et magyare, on ne saurait encore porter de jugement certain sur la politique intérieure de la Nouvelle-Hongrie. Ce qui paraît acquis, c’est