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Parlement, on les ignore. L’idée impériale a, dès lors, nombre d’apôtres désintéressés dont l’éloquence entraîne peu à peu l’arrière-garde de l’opinion, timide et routinière. Lorsque Frédéric-Guillaume refuse cette couronne dont l’origine révolutionnaire l’inquiète, la désillusion est grande, mais le projet ne sombre pas. Un instant, on se retourne vers l’Autriche, puis la convention d’Olmütz met fin à toute velléité d’entente avec elle ; l’Autriche décidément est vouée à la réaction et à l’immobilité. Désormais, c’est entendu ! On fera l’empire avec la Prusse et, s’il le faut, malgré son roi.

Mais, pour réaliser l’idée, le peuple allemand n’est pas au bout des sacrifices nécessaires. Le plus grand sera celui de la liberté. Jusqu’ici il l’a entrevue devant lui. C’étaient d’ardents libéraux, ces 500 jeunes gens des Universités d’Iéna, de Halle et de Leipzig qui s’étaient réunis le 18 octobre 1817 à la Wartbourg pour proclamer leur foi en l’avenir de la patrie allemande. C’étaient aussi des libéraux, ces délégués des États allemands assemblés à Heidelberg le 5 mars 1848 pour provoquer la réunion d’un Parlement national. Tout ce qui s’est dit ou fait depuis 50 ans, a été dit ou fait au nom de la liberté. Mais du moment qu’il faut choisir entre la liberté et l’empire, nulle hésitation. L’épée prussienne, dès qu’elle sort du fourreau, est acclamée. Sadowa est populaire parce qu’il prépare l’empire ; Sedan plus encore, parce qu’il le crée. Les princes qu’amoindrit cette haute fortune du premier d’entre eux manquent peut-être d’enthousiasme ; mais le peuple rentre satisfait dans ses foyers. Ce ne sont pas tant les lauriers cueillis qui l’exaltent que le fait de posséder enfin ce qu’il a appris à considérer comme le symbole de sa force et la sauvegarde de son existence.

Symbole et sauvegarde, tel est bien le double caractère de l’idée impériale allemande : une idée qui n’est point claire pour les autres peuples et surtout pour les peuples latins. C’est que depuis le moyen âge, tout au moins la nationalité latine est quelque chose de précis. Qu’elle fût libre comme en France ou captive comme en Italie, elle ne s’ignorait point, elle n’avait pas de doute sur sa propre durée. La nationalité germanique, au contraire, a été égarée, disséminée par les accidents de l’histoire ; elle n’a plus connu ses limites, elle s’est longtemps cherchée et ne s’est retrouvée tout d’abord que dans les choses de l’esprit. Le premier lien commun entre Allemands a été une façon identique de penser. À une pareille nationalité, il faut un palladium, un centre, une institution qui la domine et la rassemble. C’est ce que fait l’Empire, et la nécessité de son existence est si évidente qu’elle s’impose à tous, même aux socialistes ; au milieu de tous les bouleversements qu’ils prévoient et qu’ils désirent, presque tous souhaitent le maintien de l’Empereur, se contentant de vouloir le lier à eux par un inextricable réseau de lois tyranniques.

L’accord va même au delà : non seulement les Allemands sont unanimes dans leur attachement à l’Empire, mais, chose curieuse, ils semblent l’être aussi dans la façon philosophique de le concevoir ; chez un peuple aussi épris de pensée pure que l’est le peuple allemand, ce point de vue n’est pas négligeable. Il est bien vrai qu’entre la théorie et la pratique se creuse