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degrés (le tchin) dont « les huit premiers assureront la noblesse héréditaire et quelques autres la noblesse personnelle », il semble moins heureusement inspiré. Mais quand il prétend imposer à ses sujets les habits et les manières allemandes, les soumet à la tyrannie occulte de sa « chancellerie secrète » qui est en somme une inquisition d’État, supprime de fait la douma et remplace le patriarcat[1] par un synode dont il tiendra les fils, il accomplit une besogne franchement mauvaise et dont les néfastes conséquences continuent de se faire sentir.

Tout cela se trouve sanctionné par la retentissante bataille de Poltava (1709) s’effondre la fortune du téméraire Charles XII de Suède. En soi le succès militaire n’était que d’ordre secondaire mais l’Europe occidentale s’était si fort divertie des réformes du tsar et avait si peu pris au sérieux ses prétentions militaires qu’une sorte de stupeur se répandit à voir fuir devant lui un vaincu de pareille envergure. Du coup on cessa de rire et l’on eut raison. L’armée et la marine russes étaient devenues de puissantes réalités. La question était de savoir à quelles besognes on les allait employer.

La mort de Pierre le grand (1725) — au moment où le danois Behring explorait sur son ordre les rivages de l’Asie septentrionale et se préparait à découvrir le détroit qui la sépare de l’Amérique — avait été précédée d’une horrible tragédie. Le prince héritier Alexis, longuement torturé dans sa prison y avait enfin péri sous les yeux — sinon de la main de son père. Autour de lui, toute la vieille Russie protestataire, était en passe de faire bloc et Pierre dégradé prématurément par ses orgies, en proie à des crises épileptiques et affolé d’un croissant orgueil n’avait pas reculé, afin de frapper la réaction en plein cœur, devant le plus monstrueux des crimes. Mais maintenant il n’avait plus d’héritiers que ses deux filles ou bien le jeune fils d’Alexis. Il désigna pour lui succéder la servante illettrée qu’il avait fini par associer au trône et qui seule avait su depuis vingt ans conserver sur lui une influence durable. Cette singulière souve-

  1. C’est en 1589 que le métropolite de Moscou avait pris rang de patriarche, du consentement un peu forcé du patriarche grec de Constantinople jusque là chef unique de l’Église orthodoxe. Cette élévation avait placé le siège de Moscou au-dessus de celui de Kiew et complété l’autonomie religieuse de la Russie.