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le partage de la pologne

terre slave, le tsarisme protecteur et omnipotent, la foi orthodoxe intangible et incorruptible.

L’assemblée réunie par les soins de Cosma Minine et de ses collaborateurs s’était employée à élire un tsar Michel Romanof, censé descendre de Rurik (1613) puis elle s’était dispersée, ne cherchant point à proroger ses pouvoirs pas plus que ceux qui l’avaient provoquée ne cherchaient à imposer leur influence. Étranges révolutionnaires dont l’action pourtant énergique, se bornait à tirer de l’ornière le char de l’État embourbé afin qu’il pût continuer sa route. En 1645 Alexis Ier succéda à son père Michel. Ils régnèrent chacun trente ans environ. Vraiment il ne semblait pas que rien fût changé : même char, même route et, l’on pourrait ajouter, mêmes heurts, mêmes cahots. Le grand dilemme pourtant s’imposait avec une croissante intensité. Orient ou occident ?… On avait tourné sur soi-même. Quels horizons allait-on fixer ? Il est bien probable que si la mentalité russe avait pu s’exprimer, elle eût indiqué l’orient. Pierre le grand voulut l’occident.

Il le voulut avec cette énergie à la fois magnifique et déplaisante qui le caractérisait. Jamais encore le monde n’avait vu passer pareil souverain ; à vrai dire il a été à peu près seul de son type, seul à se faire contremaître sur ses propres chantiers, officier subalterne dans sa propre armée. Ayant organisé une vaste ambassade de plus de deux cent cinquante membres chargée de visiter les pays étrangers, il se dissimule dans ses rangs. À Königsberg il passe un examen devant un colonel prussien pour être reçu officier d’artillerie. En Hollande il se déguise en matelot et s’en va travailler à la construction d’un navire après quoi il passe dans les ateliers de divers métiers : tout cela avec quelque bluff et peu de méthode. La légende a embelli cette odyssée utilitariste. Rappelé d’Autriche par la nouvelle d’une rébellion, il rentre à Moscou, fait exécuter plus de mille pseudo-coupables s’employant lui-même à l’office de bourreau. En tous cas il est revenu décidé à déraciner les traditions et les coutumes slaves. Vainement s’est-on évertué à l’en justifier depuis, il est et restera anti-slave ce qui n’est pas une marque de génie pour un empereur russe. Lorsqu’il fait venir de l’étranger des ingénieurs pour creuser le canal Ladoga ou des savants pour organiser une académie des sciences, ses initiatives sont louables. Lorsqu’il choisit l’embouchure de la Néva pour y construire dans les conditions les plus laborieuses et coûteuses une capitale nouvelle ou qu’il répartit le corps des fonctionnaires en quatorze