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moins de destructions anormales, les plus beaux produits d’une époque soient seuls considérés par les âges suivants. Le mérite de cette époque s’en trouve rétrospectivement exagéré. Ce qui rend celle-ci originale et digne d’une extrême attention, c’est le rôle qu’y joua le pouvoir dans un domaine où il semble que la moindre ingérence risque d’effaroucher le talent et d’enchaîner l’inspiration. Autocrate politique, Louis XIV a su être dans ce domaine une sorte de président libéral doublé d’un ingénieux exportateur. À y voir échouer la plupart de ses imitateurs, on mesure la difficulté d’une pareille tâche.

La cour qui fut en quelque manière le piédestal de son action lui était-elle indispensable pour réussir ? On se prend à en douter. L’éclat de Versailles n’eût rien perdu à être intermittent ; la morale comme l’économie publique y eussent gagné. Il est facile de comprendre combien la présence fréquente du roi à Paris et dans quelques unes des grandes villes de France eût à la fois évité d’abus administratifs, épargné de mesures maladroites et encouragé d’initiatives fécondes.

v

Le pays sur lequel la France de Louis XIV exerça le plus d’action fut sans contredit l’Allemagne. Des transformations radicales s’y opéraient. À ne voir que les institutions, il semblait que le chaos fut irrémédiable. Le saint-empire n’existait plus que de nom ; des publicistes écoutés ne se gênaient point pour ridiculiser son fantôme errant. Le « conseil aulique » n’était guère qu’une ombre. Quant à la Diète — composée de trois collèges, celui des Électeurs, celui des princes et celui des villes — lorsqu’elle s’assemblait à Ratisbonne, c’était pour se perdre en d’indéfinies et stériles discussions. Les diètes provinciales (Landtag) des principautés n’avaient pas davantage d’action. Ces principautés au nombre de trois cent soixante, se prétendaient maîtresses de leurs destins. Leurs péages et leurs douanes rendaient tout commerce impossible. Les industries avaient émigré en Hollande ou en Angleterre ; la Ligue hanséatique était en décadence. La population avait diminué de près de moitié. Une ville comme Augsbourg avait passé de quatre-vingt mille à dix huit mille habitants. Partout des terres en friche, des villages abandonnés. Des bandes de maraudeurs circulaient terrorisant les campagnards.