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constituaient une façade derrière laquelle il n’y avait que dureté, égoïsme et grossière vanité. L’Angleterre émergeait d’une époque où les appétits avaient longtemps étouffé tout idéal. Le précédent roi, Henri VII avait su du moins développer le commerce, l’industrie, la marine et remplir les coffres de l’État. Son fils avait la tâche facile. Oxford maintenant aspirait à redevenir un centre de culture. John Colet, Érasme et Thomas More[1] s’y rencontraient. Il n’était pas jusqu’aux architectes qui ne se révélassent prêts à instaurer ce « style Tudor » dont la chapelle de Westminster atteste le remarquable élan initial. Au lieu de s’appliquer à faire fructifier tant de germes heureux, Henri VIII se jeta dans l’imbroglio des querelles continentales. Un moment il pensa devenir empereur d’Allemagne ; plus tard il se vit roi de France. Il finit par se faire pape anglican et termina son existence manquée en apoplectique sanguinaire.

Autour de ces trois figures centrales se tiennent des comparses de relief inégal mais dont le groupement, comme il arrive, aide à la compréhension générale. Ce ne sont pas à proprement parler des collaborateurs. La seule à mériter ce titre serait la mère de François Ier, Louise de Savoie, pleine d’amour, de dévouement et d’orgueil maternels et puisant dans ces sentiments d’ingénieuses inspirations au point qu’on en vient à se demander si ce qu’il y eut de bon dans le gouvernement de son fils ne lui

  1. Érasme (1467-1536) de Rotterdam, « moine malgré lui », voyageur infatigable et curieux, exerça sur son temps une influence considérable. Bâle était sa résidence préférée. En montrant, comme dit Nisard « que l’homme moderne est fils de l’ancien » et que les littératures « ne sont que le dépôt de la raison humaine », il aida beaucoup à répandre la doctrine de l’évolution et du progrès. Il fut le grand précurseur de l’internationalisme intellectuel qui ne devait vraiment s’épanouir qu’au xviiie siècle.

    John Colet fonda la célèbre école de St-Paul, mère de tous les grands public schools d’Angleterre. Son nom est à rapprocher de ceux de St-Anselme qui vivait six siècles avant lui et de Thomas Arnold qui vécut trois siècles plus tard. Ces hommes déposèrent à trois reprises dans un sol ingrat, les germes de la pédagogie réfléchie et respectueuse de la nature humaine qui fit la force de l’Angleterre moderne.

    Quant à Thomas More, homme d’État « ardent et inflexible », philosophe « austère et tendre », on lui doit sous le nom d’Utopia (d’où vint le mot utopique) la description d’un royaume imaginaire dont les institutions sont surtout remarquables par la critique qu’elles comportent de l’ordre social tel qu’il est encore compris. More le qualifie de « conspiration permanente des riches contre les pauvres » et l’accuse de « fabriquer des criminels pour le plaisir de les châtier ». Nombre de ses théories avancées sont aujourd’hui admises ou près de l’être.