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l’unité du monde et le progrès humain

que la possibilité de l’usage implique la possibilité de l’abus et que l’homme ne possède pas la capacité de se maintenir par la seule grâce de sa nature à mi-chemin de l’usage à l’abus. Il lui faut donc une résistance apprise. Cette résistance est d’autant plus complexe à organiser que les chances d’abuser s’accroissent, en général, à mesure que les chances d’user deviennent plus nombreuses et plus variées. De là la prépondérance grandissante de la pédagogie. L’avenir lui est soumis. Mais elle-même demeure soumise à la loi démocratique du nombre. Les collectivités ne veulent plus obéir à des élites de surhommes formés dans un temple ; elles réclament l’accès du temple. L’éducation intégrale promise à quiconque en peut profiter sans autre privilégié que le plus capable est un idéal vers lequel la démocratie a cheminé depuis plus d’un siècle, silencieusement, pas à pas et comme à couvert. Par ailleurs l’action pédagogique se trouve limitée par un héritage qu’elle ne saurait répudier ; ce sont les données, les aspirations, les habitudes acquises ou contractées par les générations antérieures et dont l’ensemble fait partie intégrante de la civilisation.

On pourrait essayer de constituer un tableau graphique dont les courbes, correspondant aux divers aspects de la valeur individuelle, permettraient d’en apprécier approximativement l’évolution. Au point de vue de sa vigueur corporelle, de sa conscience, de son caractère, de son intellectualité, de sa plasticité… comment le civilisé d’aujourd’hui se compare-t-il avec l’homme des âges précédents ?

Celui des cavernes sans doute le dépassait en force musculaire sinon en force nerveuse mais sa résistance à la maladie devait être moindre. Il était en tous cas désarmé en face de l’accident, ne possédant guère de moyens d’aider l’action de la nature. C’est aux temps préhistoriques pourtant que naquit la chirurgie opératoire[1]. S’il est exact qu’un traité de thérapeutique rédigé en Chine deux mille cinq cents ans avant l’ère chrétienne ait, par l’Inde et l’Égypte, influencé le monde méditerranéen, nous savons qu’il n’y avait alors à proposer au

  1. Le nombre des crânes trépanés extraits des gisements préhistoriques est probant sur ce point.