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l’afrique

poignée d’agents audacieux qui lui conquéraient un empire et traçant lui-même les frontières de cet empire à l’aide de tractations dans lesquelles il s’appuyait tour à tour sur l’Allemagne ou sur la France, opposant les intérêts des puissances les unes aux autres, cédant à l’une, résistant à l’autre, coordonnant toutes choses. L’État belge demeurait étranger, presque hostile à cette épopée qui comptera parmi les plus étonnantes de l’histoire. Le souverain passé homme d’affaires ne lui demandait rien. Il engageait ses propres capitaux ou s’en procurait comme s’il se fut agi d’une entreprise privée. Puis brusquement un congrès assemblé à Berlin (1884-1885) pour établir un « droit public africain » se trouva amené à reconnaître « l’État libre du Congo ». Sans cesser d’être homme d’affaires, Léopold redevenait souverain. Quatre ans plus tard, par un testament prestigieux[1] il léguerait à la Belgique un avenir immense assuré par son intelligence, sa volonté et sa patience. Ces façons de faire médusaient les Anglais. Ils laissèrent échapper les précieuses régions du Katanga et même cédèrent à bail un vaste territoire sis entre le Congo et le Nil ; la France se croyant lésée intervint maladroitement pour obliger les Belges à se retirer de la vallée du Nil qu’elle livrait ainsi aux Anglais : erreur politique que plus maladroitement encore, elle devait un peu plus tard, chercher à réparer en occupant Fachoda. Pendant ces temps les troupes congolaises formées et commandées par des officiers belges pourchassaient péniblement les populations esclavagistes tandis qu’avec des difficultés répétées se construisait la voie ferrée mettant le Congo navigable en communication avec la côte. Lorsqu’elle eût été inaugurée (1898) le commerce congolais se mit à progresser à raison de dix millions par an.

La création de l’État du Congo agit comme une sorte de révulsif sur les puissances européennes, celles surtout qui semblaient pouvoir prétendre à une hégémonie africaine, c’est-à-dire l’Angleterre et la France lesquelles possédaient au Cap et en Algérie de fortes bases d’action. Mais tandis que l’Angleterre

  1. Léopold II ne mourut qu’en 1910 laissant le trône à son neveu Albert Ier. Il régnait depuis quarante cinq ans. Très constitutionnel à l’intérieur, il avait aidé à la formation politique définitive de la Belgique en favorisant le jeu des partis se succédant au pouvoir ; de 1870 à 1878 les catholiques, de 1878 à 1884 les libéraux mais sous son sourire sceptique se cachait quelque passion ; son autorité était considérable sur l’opinion.