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théorèmes se répandait dans la foule alternant avec celui des couleurs heurtées et des bizarreries exotiques. Tout cela composait un intellectualisme de désunion qui fissurait peu à peu le bloc de la véritable pensée française nuancée et amie des expressions modérées. Le dénigrement sévissait. On eût dit chaque groupe de citoyen préposé à la tâche de redresser le groupe voisin. Ce penchant procurait aux adversaires de la république l’occasion d’assouvir leurs rancunes. Il devait en coûter cher à la nation.

En Allemagne la personnalité de l’empereur s’effaçait quelque peu. Il ne paraissait plus diriger et, de fait, sa volonté fléchissait. Autour de lui l’idée de la guerre inévitable gagnait du terrain. Il s’accoutumait à la juger telle. L’archiduc François-Ferdinand le poussait plutôt dans cette voie car si l’Allemagne pouvait à la rigueur effectuer quelque annexion en se bornant à menacer[1] l’Autriche n’avait rien à attendre d’un pareil procédé. L’organisation tripartite rêvée par l’archiduc ne naîtrait que d’une secousse. Il faudrait faire lâcher prise à la Russie que sa défaite en orient attachait encore davantage, s’il était possible, à son rôle de protectrice des Slaves. François-Ferdinand regardait vers l’est ; Guillaume vers l’ouest. Agrandir de ce côté son empire, atteindre la mer, abattre cette république dont les succès ne s’étaient développés qu’au détriment des idées monarchistes, il y avait là de quoi le tenter. Il s’inquiétait pourtant de l’énorme enjeu à jeter dans la bagarre. On devait aussi convaincre le vieil empereur François-Joseph peu désireux de terminer son règne dans le sang comme il l’avait commencé soixante ans plus tôt… À vaincre ces hésitations de leurs ennemis les Français apportaient l’appui paradoxal d’une critique quotidienne et acerbe de leurs propres institutions. À force de répéter partout qu’ils étaient affaiblis et désorganisés, ils finirent par se faire entendre. Les cabinets de Berlin et de Vienne se plurent à penser que la campagne serait brève, que des décisions militaires seraient obtenues avant qu’un seul soldat russe pût franchir la frontière, que la république s’affaisserait au premier coup de canon Le monde intellectuel et universitaire allemand venait

  1. C’est ainsi qu’en 1911 le cabinet français présidé par M. Caillaux se résigna à négocier avec celui de Berlin sur la base d’une cession de territoire congolais en échange de la liberté d’action au Maroc. Le territoire cédé, bizarrement dessiné, assurait à la colonie allemande du Cameroun un accès au fleuve du Congo. Le traité mécontenta l’opinion dans les deux pays et ne fit que hâter la guerre.