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dont néanmoins la civilisation moderne demeure tout imprégnée tant les termes en répondent à la pensée intime de chaque privilégié. Pourtant les grandes religions à bases révélées condamnaient une pareille doctrine. Les livres zoroastriens reflètent une pensée nettement démocratique. Le bouddhisme primitif est péremptoire. « La naissance, a dit Çakya Mouni, ne condamne aucun être à l’ignorance et au malheur ». Quant à l’évangile, un souffle perpétuel d’égalitarisme l’anime. Il en est de même de l’inspiration coranique. Mais trop souvent on a vu au sein des Églises, l’intérêt matériel endormir la conscience. Puis, au moyen-âge, la féodalité introduisit un élément nouveau. La misère des temps incita au servage volontaire. Pour échapper à l’insécurité grandissante, l’individu aliéna lui-même sa propre liberté au profit du manoir ou de l’abbaye disposés à le protéger. Si générale fut l’accoutumance à cet état de choses que l’affranchissement se trouva ensuite plus souvent offert que sollicité. On vit des serfs ne l’accepter que par contrainte. La vraie doctrine humaine n’en trouvait pas moins quelques esprits assez lucides pour la concevoir et assez hardis pour l’énoncer : « chacun est franc et d’une commune franchise » déclarait un jurisconsulte du xiiime siècle. Mais ce n’était là qu’un principe à l’application duquel les circonstances demeuraient contraires.

Elles le furent plus encore lorsque l’Amérique qui venait d’être découverte se trouva livrée aux convoitises européennes. Par un paradoxe singulier, ces territoires où devaient s’élaborer plus tard des institutions empreintes d’un sens moral et égalitaire plus développé commencèrent par apporter à l’esclavagisme et à l’immoralité un formidable renfort. Les récits des « conquistadores » concernant les richesses du Nouveau-monde affolèrent l’Europe. « L’or, écrivaient-ils, est chose excellente. Avec de l’or on fait tout ce que l’on désire ici-bas et l’on fait aussi arriver les âmes en paradis ». Ce sophisme n’est pas moins important à noter que celui que nous avons cité à propos des États-généraux de 1484. Il est ainsi des formules négligées par l’histoire et en lesquelles semble se condenser ou se refléter la mentalité d’un siècle. Celle-ci servit à couvrir des crimes monstrueux. Pour extraire l’or américain, on sacrifia dix millions d’indigènes et comme leur vigueur n’y suffisait pas, on organisa la traite des nègres : longue infamie sur laquelle les écrivains se sont tus trop volontiers. « Les plus riches parties de l’Afrique, arrosées par de grands fleuves, faites pour porter des fruits de paix par la culture et le travail devinrent des parcs d’esclaves. La cupidité des blancs