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(1804). Sa domination de quatorze années compte parmi les périodes historiques les plus passionnantes du point de vue romanesque et les plus stériles du point de vue politique. Il n’en est presque rien resté quoiqu’on dise, sinon pour la France la gêne d’une armure propre à contrarier ses initiatives naturelles — et, pour l’Europe, des rancunes vivaces qui contribuèrent largement à susciter les agitations internationales du xixme siècle. Mais quelle étonnante succession de tableaux saisissants, quelle figuration somptueuse, quel sentiment inné de l’art dramatique ! Car Napoléon a traité la vie comme une représentation théâtrale au cours de laquelle, infatigable, il s’est montré tour à tour selon la parole célèbre du pape, « comédien et tragédien » consommé, exerçant ainsi une emprise formidable sur son temps.

Aux Tuileries dans la simplicité antique des premiers jours et, peu après, guidant l’armée à travers les neiges du grand St-Bernard — saluant le soir de Marengo la victoire fidèle — promulguant le concordat par lequel il transformait le clergé en un corps de fonctionnaires dociles — venant entre deux batailles s’asseoir parmi ceux qui préparent les lois nouvelles et redressant leur travail par une formule souvent inféconde mais toujours lapidaire — recevant au crépuscule à St-Cloud les sénateurs qui lui apportent non sans réticences la pourpre tissée sur son ordre — prenant à Notre-Dame des mains du souverain pontife étonné la couronne qu’il pose lui-même sur sa tête tandis que dans la tribune « madame mère » regarde rigide et méfiante… Puis le voici au camp de Boulogne, sur la falaise abrupte, distribuant à ses légions, au milieu d’une pompe césarienne, les aigles symboliques et, de là, les transportant soudain à marches forcées jusqu’aux rives du Danube où se lève « le soleil d’Austerlitz »… le voici dictant aux seize princes allemands confédérés selon ses vues les articles du pacte qui va les unir — installant ses frères et son beau-frère Murat sur les trônes de Naples, de Hollande, d’Espagne, de Westphalie[1] — réduisant à Iéna la Prusse à merci (1806) — offrant au tsar Alexandre sur le radeau du Niémen le partage du monde (1807) — dressant contre l’Angleterre la

  1. Le royaume de Westphalie créé par Napoléon pour son dernier frère Jérôme ne vécut que six années (1807-1813). Il comprenait les provinces prussiennes sises à l’orient de l’Elbe, la Hesse électorale, une partie du Hanovre… ; la population était d’à peu près deux millions. Cette création ne répondait à rien et dès 1810, Napoléon la démembra. Le roi Jérôme d’ailleurs s’intéressa peu à son royaume.