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la revanche celto-romaine : les capétiens

solidaires de cet état de choses car la situation de tous ces privilégiés dépend du maintien intégral du principe inégalitaire. Ni chez les uns ni chez les autres n’existe le moindre souci du bien public ; la notion même — cette notion si romaine — en demeure étrangère à leur esprit. S’ils réalisent autour d’eux quelque amélioration matérielle, c’est en vue d’un profit pécuniaire de même que s’ils recherchent la culture — il en est de cultivés — c’est pour y puiser quelque agrément égotiste, quelque embellissement de leur propre existence.

Ils sont, au sens exact du mot, des « sans-patrie ». Pour les exonérer rétrospectivement d’une accusation dont la gravité n’a fait que croître aux yeux de la postérité, on a argué que le sentiment de la patrie, de leur temps, n’existait pas ; bien plus, que la patrie elle-même était alors sans âme et sans visage. C’est là une vraie jonglerie. Le patriotisme est à peu près aussi ancien que la civilisation et, même si l’on s’en tient à l’aspect qu’il revêt de nos jours, on doit admettre que Cincinnatus ou Vercingétorix reproduisent des types achevés du patriote à la moderne. Mais il est vrai que le patriotisme s’est formé et développé dans les rangs populaires ; c’est là que la patrie a été aimée d’abord avec abnégation et désintéressement et non pour les bénéfices ou les commodités qu’on retire d’elle. Au temps de Philippe Auguste, la France n’était encore qu’un état presque informe, tout coupé d’enclaves féodales et dont l’unité politique était inférieure à celle de l’Angleterre et de l’Allemagne. Mais il existait déjà un peuple français, une âme française. La joie générale qui accueillit la défaite à Bouvines des féodaux coalisés alliés aux Anglais et ayant à leur tête l’empereur d’Allemagne Othon IV, fut la première manifestation de cette âme là.

Dans la cohésion qui s’opérait ainsi, l’Église avait sa part. Le Saint-siège avait été conduit automatiquement à s’appuyer sur la France en raison des déboires que lui avait apportés sa politique allemande. La France y trouvait avantage. Sous le règne de Louis VII, le pape Alexandre III séjourna deux années dans la ville de Sens. Certes ce voisinage des deux pouvoirs n’allait pas sans heurts mais quel prestige le roi n’en retirait-il pas aux yeux de la chrétienté ! C’était d’ailleurs une heure de péril grave. Henri II d’Angleterre maître en Normandie, en Anjou, en Guyenne regardait avec appétit du côté de Paris. Le pape