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comme vers celui qui représente la justice et qui, un jour, mettra fin aux misères de l’exploitation féodale.

L’espérance se précise avec Louis VI dit le gros (1108-1137). Un soldat, toujours à cheval pour faire la police, punir les seigneurs qui détroussent le pauvre monde, assurer l’ordre et la sécurité. Et sans doute son action est limitée au domaine royal encore très restreint mais la France entière suit avec attention ce spectacle nouveau. Si Louis VI ne s’entend guère à la politique, il a pour le guider un très grand ministre, Suger, l’abbé de Saint-Denis, homme de manières simples, d’intentions droites et pures, un vrai ministre capétien possédant le sens des labeurs accumulés et l’instinct du progrès possible. Sous Louis VII (1137-1180) il y a recul. Encore une histoire de femme. On lui a fait épouser Aliénor, héritière de toute l’Aquitaine. Malgré Suger qui est encore là et administre superbement le royaume pendant que le roi perd son temps à la croisade, celui-ci prétend divorcer car Aliénor qu’il a emmenée en orient y a passablement entaché l’honneur conjugal. Suger mort, Louis VII répudie sa femme laquelle tout aussitôt épouse Henri Plantagenêt, comte d’Anjou qui dès l’année suivante héritera du duché de Normandie et du trône d’Angleterre. Voilà la moitié de la France, de Rouen à Bordeaux, Bretagne exceptée, aux mains des Anglais. Leur roi Henri II est vassal pour tous ces territoires du premier mari de sa femme mais quel étrange vassal beaucoup plus riche, puissant et prestigieux que son suzerain ! Le droit féodal n’a pas prévu de telles bizarreries et il ne saurait avoir la force nécessaire pour y pallier. Il s’en faut pourtant qu’entre les deux rivaux la réalité réponde complètement aux apparences. Henri d’Angleterre est un roi transplanté ; la royauté française, elle, s’enracine peu à peu dans le sol national par ces mille et une fibres invisibles qui créent la véritable stabilité. Philippe II (1180-1223) qu’on a pris l’habitude de nommer Philippe-Auguste en tire une force invincible qui se révèlera à Bouvines le 27 juillet 1214. Bouvines c’est la grande journée française, celle qui décida de la France, consacra le passé et permit de dessiner l’avenir. Les vaincus ici ne sont pas tant les hommes que les institutions. D’un côté est une nation moderne en formation, encore inconsciente de sa personnalité mais dont les traits essentiels s’accusent déjà. De l’autre, il y a des intérêts personnels et des intérêts de castes emmêlés. Les grands féodaux ne voient rien au-delà des frontières de leurs fiefs si ce n’est les terres qu’ils y pourraient ajouter par chance, ruse ou violence ; et les petits seigneurs se sentent