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l’angleterre et les scandinaves

soldats donnaient de l’argent. Guillaume leur faisait délivrer par ses comptables des reçus en règle pour proportionner ensuite « les récompenses aux mises de fonds ». L’aventure devenait ainsi une entreprise en commandite. Quand il eut vérifié lui-même chaque détail, il s’embarqua enfin. On n’est pas bien d’accord sur le nombre de ses vaisseaux ; environ soixante mille hommes, dit-on, furent transportés. Comment à la bataille d’Hastings (1066) la victoire, après quelque hésitation, se donna à lui — comment, ayant occupé Douvres et Cantorbery, il vint camper devant Londres et, au lieu d’y entrer en vainqueur, prépara l’opinion à voir en lui le souverain nécessaire, ce sont choses connues et qui d’ailleurs répondent à ce que l’on pouvait attendre d’un homme de guerre éprouvé doublé d’un si fin diplomate. Mais à partir de ce moment-là précisément, ses grandes qualités déclinèrent et s’obscurcirent ; il ne fut plus lui-même. Sans doute la durée de son règne royal (1066-1087) lui permit-elle d’utiliser en maints détails ce merveilleux don d’organisation qui lui avait été départi mais les grandes lignes de sa politique furent constamment défectueuses. Refusant de donner, comme il l’avait promis, le duché de Normandie à son fils aîné, manquant à bien d’autres engagements, brutalisant inutilement, devenu avide de richesses et de pouvoir, l’orgueil le perdit. Il est à croire qu’il rêva de devenir aussi roi de France et de gouverner depuis Rouen, sa capitale préférée, les deux grands pays voisins. Mais on remarque dans sa conduite jusqu’alors si claire et sensée autre chose qu’un vulgaire orgueil ; une sorte de désorientement s’y manifeste. Il est évident que Guillaume, faisant état de son origine scandinave et du prestige dont la civilisation française jouissait alors en Angleterre s’était attendu à être aisément considéré dans ce pays comme un souverain national. Cette confiance, ses premiers actes la révèlent mais il n’en fut rien. Le contraire advint, ce qui l’inquiéta et l’aigrit. Brusquement l’Angleterre sentit le contact de l’étranger et une âme nationale germa en elle. Elle garda la dynastie et lentement l’assimila. Mais quelque chose était né qui devait à jamais rendre la France et l’Angleterre impénétrables l’une par l’autre et, périodiquement, les jeter l’une contre l’autre.