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l’angleterre et les scandinaves

mais cela ne suffisait pas à créer des intérêts susceptibles de déterminer un appui armé en cas de péril. Au point de vue des échanges, l’Angleterre était trop pauvre pour servir de tête de ligne et d’autre part, n’étant sur le passage de personne, elle ne trouvait pas à s’enrichir. Pour y parvenir par ses propres ressources, il eut fallu à tout le moins une constante sécurité. Or les Celtes massés sur ses frontières en Écosse, en Irlande, dans le pays de Galles, en Cornouailles demeuraient irréconciliables et toujours prêts à s’entendre avec les pirates danois. De telles coalitions s’étaient renouvelées à plusieurs reprises depuis la mort d’Alfred. On en avait eu raison. L’armée restait solide. À défaut de progrès matériels, de grands progrès intellectuels étaient réalisés. Le prélat Dunstan, ministre éclairé, y veillait restaurant à point la morale ecclésiastique là où elle avait fléchi. Mais après lui une forte recrudescence de l’activité scandinave se manifesta comme précisément passaient sur le trône d’Angleterre des hommes insuffisants ou maladroits. Le barbare Suenon, roi de Danemark qui avait mis à mort son propre père et rétabli le culte des idoles débarqua en Angleterre, s’empara d’Exeter, de Salisbury, de Londres, de Winchester. Cantorbery fut pillée et l’archevêque égorgé (1010). Son fils Canut compléta la conquête. En 1017 l’Angleterre était tout entière entre ses mains. Alors s’opéra en lui une de ces extraordinaires transformations si symptomatiques des aventuriers scandinaves de ce temps. Les mains ensanglantées par une série de meurtres abominables, Canut parvenu à ses fins se mua brusquement en un souverain éclairé et bienfaisant. Aucune tyrannie, le maintien de toutes les lois et coutumes, la justice strictement rendue, des hommages posthumes à ceux que Suenon ou lui-même avaient mis à mort, une politique active et pacifique, enfin un pèlerinage à Rome où il obtint du pape des avantages appréciables pour ses sujets, telles furent les caractéristiques d’un règne qui s’était ouvert sous de si sombres auspices. Canut avait hérité dès 1018 de la royauté danoise par la mort de son frère. En 1028 il devint aussi roi de Norvège. En 1031 il parvint à établir sa suzeraineté sur l’Écosse si bien que lorsqu’il mourut en 1035 il gouvernait en somme tout le nord de l’Europe mais il le gouvernait en souverain anglais depuis Winchester. Or les Anglais ne représentaient dans ce vaste empire qu’une minorité. Rien ne souligne mieux la valeur des institutions d’Alfred le grand qui, cent trente ans après la mort de ce grand homme, étaient encore assez fortes pour s’imposer ainsi à des conquérants étrangers.