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l’est de l’île — encerclé par ses propres possessions. Alors de Winchester, sa capitale, il commença d’organiser un État presque moderne de rouages et de doctrines : une armée nationale basée sur le service obligatoire et divisée en troupes de marche, de places fortes et de marine, des tribunaux réguliers, un service de ponts et chaussées… Il assembla et codifia les lois et de sa propre main écrivit des traductions des livres qu’il jugeait aptes au progrès de son peuple. Il choisit notamment les cinq livres de Boetius « De la consolation par la philosophie » et les Histoires générales d’Orose et de Bède[1] Sous sa direction se rédigea la « Chronique », relevé des faits nationaux et compilation de tous les documents locaux relatifs à l’Angleterre. Cette chronique malheureusement trop brève pour notre curiosité fut la première de l’Europe écrite dans une langue moderne qui était déjà de l’anglais. Alfred attachait à la diffusion de l’instruction une si grande importance qu’il la voulait rendre obligatoire pour tous les hommes libres du royaume. On ne sait en vérité ce qu’il faut le plus admirer d’une pareille hauteur de vues ou de la force d’un caractère qui sut se maintenir jusqu’au bout semblable à lui-même. Car il ne paraît pas que l’exercice du pouvoir ait le moins du monde modifié la mentalité du roi, troublé sa pondération ou exalté sa vanité.

Par son homogénéité et son adaptation au milieu et aux circonstances l’œuvre d’Alfred le grand était préservée de ces réactions fatales dont l’histoire fournit de constants exemples. Aussi se développa-t-elle heureusement sous ses successeurs immédiats. Son fils Édouard (901-925), son petit-fils Athelstan (925-941) eurent des règnes prospères — dans la mesure toutefois restreinte où pouvait prospérer l’Angleterre d’alors qui était profondément handicapée par son isolement : isolement politique et surtout commercial. On cherchait bien des alliances matrimoniales sur le continent. Les trois sœurs d’Athelstan épousèrent, l’une Charles le simple de France[2], l’autre Hugues père de Hugues Capet et la troisième Othon le futur empereur d’Allemagne

  1. Orose né en Espagne, ami de St-Augustin, écrivit au ve siècle une « Histoire des calamités humaines » pour montrer que les misères contemporaines n’étaient point dues à la disparition des cultes païens comme certains le prétendaient. Quant à Bède, 675-735, il dut sa renommée à son Histoire ecclésiastique, à son Manuel de dialectique et à sa Chronologie des six époques du monde généralement adopté au moyen-âge.
  2. Charles le simple ayant été détrôné, Athelstan recueillit son fils qui devait ensuite retourner en France et y régner sous le nom de Louis IV. On lui donna le surnom d’outre-mer à cause de son long séjour chez son oncle, en Angleterre.