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su écrire bien avant eux[1]. Elle a déjà une littérature étrangement imaginative et dont on dirait, selon la pittoresque expression de J. Revel, l’historien des Normands, que « le magnétisme polaire y maintient une exaltation intérieure ». Elle possède des lois mi-coutumières, mi-codifiées qui sont dignes d’États civilisés par la façon dont elles assurent le respect des liens de la famille, des règles de la justice, des privilèges de la propriété. Enfin son organisation politique s’achemine déjà vers cette trinité de royaumes qui traversera les âges intacte, jusqu’à nos jours.

Le viiime siècle est pour la Scandinavie, une époque d’intense activité. Un chef, Éric en établissant son hégémonie sur les petites principautés environnantes crée l’État suédois. Un « iarl » du Danemark, Garon le vieux unifie en même temps les terres danoises et pousse ses conquêtes jusqu’en Schleswig où il se heurte aux soldats d’Henri Ier d’Allemagne. Enfin en 873 Harald Harfagar assemble les Norvégiens sous son sceptre et ayant défait ses rivaux dans une grande bataille, il épouse la fille de son voisin Éric de Suède pour sceller entre eux une heureuse entente. Voilà toute l’histoire scandinave dont en quelques années, la silhouette future s’est dessinée. Mais dans ces pays de farouche indépendance individuelle, de tels événements n’ont pu s’accomplir ou même se préparer sans soulever bien des colères et des révoltes. Elle est typique en ce genre la déclaration d’un viking qui visite l’Islande en 863 (il y trouve d’ailleurs des missionnaires irlandais déjà établis) et fait connaître à ses compatriotes que là « l’homme peut vivre affranchi des tyrans et des rois ». Aussitôt, un iarl mécontent, Ingolf, vient s’y installer. C’est le fondateur de Rejkiavik qui se trouve être ainsi l’une des plus vieilles capitales. Derrière lui arrivent de nombreux Norvégiens fuyant la royauté d’Harald qui contrarie leurs instincts de liberté. Pendant ce temps, comme nous le verrons plus loin, d’autres Scandinaves sont en train d’organiser la Russie à travers laquelle depuis longtemps déjà ils voyagent et commercent. Enfin des bandes formées des éléments les plus remuants et les plus entreprenants et qui puisent dans leurs succès mêmes une audace grandissante exécutent des raids incroyables sur les côtes de France. À l’embouchure des fleuves ces hommes apparaissent à l’improviste ; ils remontent le cours de la Loire, de la Garonne, de la Seine. En un moment ils amassent un butin

  1. Nous avons déjà mentionné les runes ou lettres de l’alphabet nordique. Il est curieux de noter que le mot « run » en langue gothique voulait dire : choses cachées.