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la formation de la germanie

féodalité avait déjà fait son œuvre. « Au ixme siècle, a écrit A. Rambaud, il n’y a plus en Gaule un seul petit propriétaire qui obéisse directement au souverain. » C’est qu’en effet et depuis longtemps « l’homme libre qui ne veut être le vassal de personne, mène une vie insupportable. Celui qui n’a pas un protecteur risque fort de perdre sa terre et celui qui n’a plus de terre tombe nécessairement dans la servitude. » Il en allait autrement en Germanie. La vie sociale y naissait à peine sous sa forme stable. Il n’y avait presque pas de villes en dehors de celles de la région rhénane construites par les Romains ; les autres agglomérations n’étaient que des villages. Dans les campagnes c’est à peine si les anciennes tribus venaient de s’immobiliser. Elles gardaient en tous cas leurs simples et saines institutions. Hormis ce qu’on appelait la Rhétie (Grisons, Tyrol, Vorarlberg actuels) une seule langue était parlée dans tout le territoire. Ce territoire commençait à prendre conscience de son unité car le roi qu’on lui avait donné y était tout de suite devenu populaire. Lorsque, à peine le partage opéré, on avait voulu le remanier, les Germains s’étaient rebellés. À l’appel de Louis, par une manière de plébiscite rudimentaire, ils avaient confirmé son droit. D’autre part, à cette race jeune, vigoureuse que les richesses n’avaient pas encore corrompue, une double tâche s’offrait. Il y avait à défricher le sol, à le mettre en valeur — et aussi à y édifier une civilisation ; cela sans qu’il y en eût une autre à expulser ou avec laquelle on dût composer. Point de passé complexe. La terre et l’esprit étaient également vierges. Or l’entreprise se trouvait déjà amorcée. Dès le vime siècle, des moines irlandais avaient commencé d’évangéliser les Germains. Colomban venu du monastère celte de Bangor était arrivé en Gaule en 585 et y avait fondé l’abbaye de Luxeuil dans les Vosges. Puis il avait passé en Suisse avec un disciple lequel y était resté ; la ville et le canton de Saint-Gall en portent le nom. Plus tard d’autres moines irlandais avaient pénétré jusqu’à Salzburg, parcouru la Bavière ; d’autres encore, la Souabe. Mais leur ignorance de la langue[1] et leur mentalité rendaient infécond

  1. Il paraît y avoir eu au début des temps historiques, trois types de langues germaniques. Le gothique, parlé par les Goths, disparut avec eux. Nous le connaissons par une traduction de la Bible datant du ivme siècle et ayant pour auteur l’évêque Ulfilas. Celui-ci avait composé un alphabet à l’aide de caractère romains, runiques et surtout grecs. Le nordique qui rappelle un peu le gothique s’est conservé en Islande et dans les vallées centrales de la Norvège, C’est la langue des Sagas. Il s’écrivait en caractères runiques. Nous en possédons des spécimens remontant au iiime siècle. Enfin l’allemand proprement dit est de forma-