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et homme d’affaires, il dessina le type des ploutocrates modernes. Sa maison de Montpellier avait de nombreuses succursales en France et des comptoirs en Méditerranée. Il fit une rapide fortune en même temps qu’il restaurait partout le crédit national. Ce maniement simultané de l’argent et des marchandises, cette conjugaison de l’intérêt privé avec l’intérêt public suscitèrent des soupçons et de l’envie. Jacques Cœur subit un procès inique et tous ses biens furent confisqués. Charles VII avait un penchant notoire pour l’ingratitude. Il se crut sans doute fort généreux de laisser la vie à son ministre. Celui-ci s’enfuit en Italie. Louis XI plus tard accorda à son fils une sorte de réhabilitation silencieuse. À partir de ce moment et sans qu’il soit possible d’en marquer les étapes, le sentiment s’accrédita peu à peu qu’après tout le particulier avait tous droits de s’enrichir par le commerce au mieux de sa chance et de ses capacités sans que la morale eût à intervenir pour réglementer et limiter son profit. Était-ce un bien ? On en peut discuter et rien n’est moins définitif peut-être que le régime individualiste issu de cette doctrine. Que la mise en valeur de l’Europe eût pu se mieux opérer sous un régime inverse n’est pas prouvé mais il ne l’est pas davantage que bien des maux n’en eussent été évités.

Plus incontestablement féconde et génératrice de progrès fut la notion de contrat. Il y avait longtemps qu’elle était apparue aux non-privilégiés comme l’unique recette pour améliorer leur condition. Elle était d’ailleurs très romaine d’origine et les juristes y inclinaient inconsciemment. Ouvriers réclamant la liberté du travail au sein de leurs corporations, marchands désireux non seulement de commercer librement mais de pouvoir réglementer et administrer leur négoce, communes anxieuses de s’assurer des garanties contre les usurpations du pouvoir central, tous ceux qui avaient si longtemps vécu sous la menace d’agressions imprévues aspiraient à ce que leurs devoirs et leurs droits fussent fixés par des ententes régulièrement conclues et enregistrées. Le souverain de son côté y trouvait souvent son compte, exposé qu’il était aux entreprises des grands lesquels en tous pays conspiraient volontiers contre le trône. La pression du reste se faisait trop forte pour qu’on pût longuement résister. Le monde ouvrier avait acquis une réelle unité. Tout maître avait commencé par être apprenti et tout ouvrier laborieux et économe pouvait se flatter de devenir maître à son tour. On ne faisait pas de gros profits mais il y avait de l’aisance. Entre travailleurs la solidarité et l’esprit d’assistance s’étaient développés ; une véritable