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l’europe à la fin du xve siècle

chevaliers teutoniques n’avaient pas tardé à révéler des goûts plus batailleurs que charitables. Comme les perspectives conquérantes en orient allaient déclinant, le grand-maître résolut d’abandonner la Palestine. Les chevaliers hésitaient où se fixer lorsqu’ils furent appelés par les Polonais pour aider à évangéliser et à dompter le peuple prussien (1230). Ces anciens Prussiens, sans aucun rapport ethnique avec ceux auxquels on donne maintenant ce nom, étaient d’obstinés païens. Ils tenaient le rivage de la Baltique entre la Vistule et le Niémen ; peu nombreux, ils vivaient sauvagement dans leurs épaisses et marécageuses forêts ; inquiétants voisins. Or, en traitant avec les Teutoniques, les Polonais ne prirent aucune précaution pour assurer leur propre suzeraineté sur les territoires qui pourraient être éventuellement conquis. Pourtant la possession de ces territoires qui les séparaient de la mer aurait dû leur importer grandement. La conquête précisément fut prompte et totale. Il y fut procédé par voie d’extermination. La croisade eut dès le principe un caractère encore plus pro-germain qu’anti-païen. Reconnu par l’empire, l’État teutonique avec ses villes nouvelles, Thorn et Königsberg et sa rébarbative forteresse de Marienbourg, devint une puissance redoutable qui, dès la fin du xiiime siècle dominait sur la rive droite de la Vistule. Les indigènes détruits, il ne resta plus là que des Allemands fanatisés par leur victoire, et prêts à mettre en pratique, avant de l’avoir formulé, le « Deutschland über alles ». La Pologne bloquée par eux dut réagir. Elle fut aidée par les chevaliers eux-mêmes. Leur orgueil, leur cruauté, leurs exactions semèrent et entretinrent la haine autour de leur nom. En même temps ils furent corrompus et affaiblis par les richesses qu’ils avaient amassées. Lorsqu’unie à la Lithuanie, la Pologne eut acquis un surcroît de puissance, la bataille de Grünwald (1410) la délivra du péril. Encerclé par elle, l’État teutonique se trouva réduit à lui payer tribut. L’ordre demeura abaissé mais son esprit agressif survécut à sa fortune. Au xvime siècle, par une manœuvre hardie, le dernier grand-maître, Albert de Brandebourg, devait créer une situation nouvelle en se convertissant au protestantisme naissant et en sécularisant les domaines qui lui restaient. Ainsi se formerait sous la suzeraineté des rois de Pologne, le duché de Prusse, instrument d’une germanisation encore plus dangereuse pour les Slaves parce que moins apparente.