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avait su en plus rapprocher des ministres du culte le peuple qui désormais plaçait en eux sa confiance absolue. Pour les nobles, ils étaient empêchés de faire bande à part. Leurs fiefs n’étaient pas, n’avaient jamais été des États autonomes comme en France mais de vastes domaines assurant aux possesseurs la fortune, non des droits susceptibles d’entraver l’autorité royale. Celle-ci, exercée par des princes étrangers — de plus en plus étrangers — qui savaient à peine l’anglais et ne daignaient pas en faire usage, se faisait obéir voire respecter mais non aimer. Ainsi le pays tendait à faire bloc en un insularisme naissant en face de la cour et du roi.

Telle était l’Angleterre à l’heure où le destin l’appelait à un duel fatal avec la France. Ce duel, l’avènement de Guillaume le conquérant en avait posé les prémisses ; celui d’Henri Plantagenet en rapprocha l’échéance. Nous avons vu comment le pape empêcha, sous Louis VII, le conflit d’éclater à un moment où l’issue en eut été sans doute fort dommageable aux Français. Mais ce ne pouvait être là qu’un ajournement. Philippe-Auguste, mieux armé que son père, n’hésita pas devant l’effort qui s’imposait. Un chroniqueur dit qu’il ne passa jamais plus de deux printemps sans guerroyer contre les Anglais ou leurs alliés féodaux. Il les harcelait sans être en guerre ouverte ni signer de véritables trêves. À ce jeu, il remit la France en possession de la Normandie, de la Touraine et de l’Anjou (1202-1206). Lorsque ses succès eurent dressé contre lui une coalition générale, il l’abattit. Ce fut Bouvines. On doit reconnaître que les circonstances avaient été favorables à Philippe-Auguste. Au lieu du redoutable Henri II, il avait trouvé devant lui, en effet, ses fils et successeurs, Richard surnommé « cœur de lion » (1180-1199) et Jean dit « sans terre » (1199-1216). Force est bien d’employer ces surnoms que l’usage a consacrés malgré que le plus souvent ils aient été sans signification. Richard était doué d’une grande bravoure au combat, vertu qui n’était point rare ; mais ce fut un mauvais fils et un mauvais chef d’État, dépensier et imprévoyant. L’aventure de son naufrage à Pola au retour de la croisade et de la captivité à laquelle il fut soumis par l’empereur d’Allemagne désireux d’en tirer une bonne rançon, a tout au plus l’intérêt d’un roman-feuilleton. Quant à son frère Jean, sa vilenie et ses inutiles forfaiteries condamneraient sa mémoire au mépris s’il n’avait été contraint d’apposer sa signature au bas d’un acte mémorable entre tous, la « Grande charte », véritable palladium des libertés britanniques. À vrai dire, c’est là un chapitre de l’histoire