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sorte d’affermissement de l’emprise romaine sur le territoire gaulois et comme un engagement d’en conquérir davantage.

Ensuite il y eût l’Espagne où, depuis Annibal, on guerroyait sans cesse et où Sertorius (82-73) proconsul révolté — sinon contre sa patrie du moins contre ceux qui l’exploitaient — tenta de se constituer un royaume en y créant une armée indépendante, un arsenal, une école militaire Quant à l’orient, le fameux Mithridate devenu souverain du Pont y mena contre Rome une guerre de quarante années (104-63), l’une des plus romanesques de l’histoire. Cet infatigable asiatique qui se posa un moment en défenseur de l’hellénisme sut tendre aux Romains pièges sur pièges, leur suscita obstacles sur obstacles, changeant à tout moment de plan, d’outil et de méthode, les entraînant contre leur gré à des conquêtes et à des confiscations successives et coûteuses. C’est dans ces entreprises lointaines que l’armée romaine acheva de devenir une sorte de rouage autonome aux mains de chefs qui tenaient originairement leurs pouvoirs du sénat mais n’hésitaient guère à les proroger illégalement. « Le pillage militaire, dit Ferrero, était désormais l’industrie la plus lucrative en Italie. » Aussi des civils improvisés généraux tendirent-ils de plus en plus à commander les troupes. Mais ils eurent de moins en moins l’autorité nécessaire pour y maintenir la discipline d’antan. Il fallut, sous peine de rebellions continuelles, en adoucir les formes. Il fallut aussi admettre les soldats au partage des dépouilles et des richesses ennemies : partage fort inégal d’ailleurs. Lorsque Pompée amena à soumission le roi d’Arménie Tigrane, il exigea de lui la distribution de sommes qui équivalaient à environ trente-huit francs pour chaque soldat, huit cents francs pour chaque centurion et huit mille francs pour chaque tribun mais pour lui-même il réclama vingt-huit millions. On conçoit qu’il lui ait plu de s’attarder en cet orient privilégié que, de la mer Noire au Nil, il rançonna copieusement. Au retour, il versa spontanément quelques soixante-dix millions au trésor de la république, se dispensant ainsi de dire combien il en gardait pour lui. Sur une moindre échelle presque tous agissaient de même. Lorsque Cicéron devint gouverneur de la Cilicie, il fut épouvanté de contempler « l’immense désolation d’une province romaine dévastée par les usuriers et les politiciens venus d’Italie ».

Ainsi les rapines militaires et les fourberies diplomatiques s’accumulaient à la périphérie d’un empire au centre duquel n’existait plus que l’anarchie gouvernementale. Non qu’une révolution eût abattu les anciennes formes du pouvoir. Au contraire