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seule, être Urbs, la ville unique, la ville par excellence. L’empreinte religieuse se marquait plus fortement que l’empreinte politique. C’était cette même religion craintive et superstitieuse qu’un historien a caractérisée en disant que l’homme n’y est pas à l’aise avec ses dieux et ne se met en rapports avec eux que « pour en obtenir un service ou éviter un mauvais traitement ». Pour le Romain comme pour l’Étrusque, tout est matière à de troublantes interprétations : le tonnerre, la grêle, la pluie, un accès d’épilepsie qui se produit dans une foule suffisent à indiquer que les dieux sont mécontents. D’Étrurie est venue aussi cette misérable coutume de dépecer des animaux pour chercher dans leurs entrailles des auspices favorables, coutume qui transforme le temple romain en un étal de boucher. La conduite des plus graves événements se règle sur des niaiseries. En l’an 324 on vit un général en chef s’abstenir de livrer bataille parce que les poulets sacrés refusaient de manger, ce qui impliquait de fâcheux présages. Il était infaillible qu’un jour vint où un autre chef militaire, jugeant le moment favorable pour livrer une bataille navale, ferait jeter à la mer les mêmes poulets sacrés en disant que, puisqu’ils ne voulaient pas manger, il fallait leur donner à boire. Seulement les superstitions une fois effondrées, il ne restait rien. La religion qui servit de fortifiant à bien des cités antiques ne fut, à Rome, qu’une entrave morale. Et les conséquences des conceptions religieuses romaines eussent été bien plus fâcheuses s’il s’était formé là, comme chez les Étrusques, une caste sacerdotale. Ce qui sauva Rome de l’oppression de sa propre théologie, absurde et tyrannique, ce fut l’heureuse absence d’une telle caste.

À la dictature à vie dont le dernier titulaire, Tarquin le superbe avait abusé, se plaçant au-dessus des lois et usant de procédés tyranniques, le sénat de l’an 509 substitua, si l’on ose ainsi dire, de la poussière de dictature. Le nouveau régime ne constitua point un véritable contrôle organisé et ne comporta aucune institution rappelant de près ou de loin nos gouvernements représentatifs ou nos ministres responsables. Ce fut un ensemble de charges spéciales, s’opposant, se faisant obstacle les unes aux autres au moyen de vetos tenus pour sacrés et permettant au titulaire de l’une de ces charges d’annihiler l’action des autres ou d’en suspendre l’effet. On comprend malaisément que la machine gouvernementale n’ait pas été constamment arrêtée et tout progrès rendu impossible par la complexité négative d’un tel système. Notre étonnement sur ce point fut partagé d’ailleurs