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Servius Tullius jeta une semence nouvelle. Sous couleur de refondre et d’améliorer l’organisation militaire — et sans rien détruire de ce qui existait par ailleurs — il répartit tous les habitants de Rome en six classes d’après leur état de fortune. Chacun dut déclarer ce qu’il avait et les fausses déclarations furent punies avec une extrême sévérité, pouvant aller jusqu’à la confiscation et à la déchéance. La dernière classe se composait de ceux qui ne possédaient rien et — le service militaire étant considéré comme un honneur — n’étaient astreints en conséquence à aucun service. Par contre, dans les nouvelles assemblées par classes dites « comices par centuries » qui allaient se superposer aux comices par curies sans les remplacer, les votes étaient attribués de façon que la plus haute classe sur laquelle pesaient les plus lourdes charges militaires eût assez de suffrages pour contrebalancer à elle seule ceux des autres classes réunies. Ainsi les patriciens avantagés acceptèrent une réforme qui assurait d’autre part aux plébéiens la possibilité de s’élever, d’acquérir de l’influence et une situation proportionnées à la fortune qu’ils auraient su amasser ; d’où prime à l’enrichissement et au progrès et brèche faite dans la muraille qui jusqu’ici avait isolé complètement la plèbe de l’aristocratie. En agissant de la sorte, Servius Tullius prit rang parmi les profonds politiques. Son œuvre en effet, comme celle des législateurs vraiment grands, s’appliquait à féconder l’avenir et dépassait en portée la génération au milieu de laquelle elle avait été conçue.

Il est compréhensible que, préoccupés de pareils problèmes d’un caractère utilitaire et exact, les dictateurs des deux premiers siècles aient contribué à confirmer la mentalité romaine dans ses tendances pratiques, méticuleuses et sèches. Étroits, sans élan, se méfiant de l’enthousiasme, regardant avant tout aux résultats immédiats, les Romains avaient appris des Étrusques à exceller dans les travaux d’irrigation et d’assainissement, dans la construction des égouts, des canaux, des ponts, des aqueducs. Tout ce qui était susceptible de rendre la terre productrice, les monuments résistants, les communications aisées les intéressaient mais ces connaissances les contentaient. D’arts et de lettres ils n’avaient cure.

Aux Étrusques encore ils avaient emprunté l’aigle emblématique, les faisceaux des licteurs, l’ordre des cérémonies, mille détails de la vie publique et privée. Mais ils avaient répudié la forme fédérative de l’État étrusque ; ce système était incompatible avec leur orgueil et leur ambition. Rome prétendait régner