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garde. Le règne d’Alphonse VII (1126-1107) esquissa l’unité future. Tolède reprit figure de métropole catholique comme jadis sous les rois wisigoths[1]. Ce fut une époque de grande transformation. L’espèce de zone mobile, en diagonale, qui séparait les chrétiens en progrès des musulmans en retraite n’avait cessé d’avancer coupant l’Espagne en deux portions qui, un moment égales, s’inégalisaient de nouveau et cette fois au détriment de l’islam. Comme c’était une zone dévastée par la bataille et qu’il fallait faire revivre, le trop plein de la population montagnarde du nord-ouest s’y déversait au fur et à mesure que les guerriers la quittaient. On y appelait aussi pour cultiver, bâtir et repeupler des colons du dehors et notamment du sud de la France. Par ailleurs d’anciens habitants chrétiens qu’un contact si prolongé avec les Arabes avait influencés profondément préféraient se retirer comme eux vers le sud. De la sorte s’établissaient de grands courants d’arrivées et de départs. Aux nouveau-venus on concédait des privilèges, des garanties, embryons des « fueros » auxquels leurs descendants demeurent si attachés. Il existait déjà des assemblées dites « cortès » dont la tradition devait remonter à ces conciles mi-laïques, mi-religieux fréquents aux temps wisigoths. Dès 1169 on vit paraître aux cortes, à côté des prélats et des nobles, des représentants des communes et ceux-ci manifestèrent aussitôt leur humeur interventionniste. L’Espagne d’alors ressemblait ainsi à un prodigieux creuset où on aurait entassé les minerais les plus divers. Le raffinement et la barbarie, la culture et l’ignorance, la liberté et le fanatisme s’y pénétraient constamment, dominés par une étrange chevalerie tout en heurts et en excès et que l’alternance de ses passions et de son sang-froid comme de son éloquence et de son mutisme drapait dans le manteau d’une poésie ardente[2].

Après qu’en 1212 les Arabes, passagèrement renforcés par l’épée africaine des princes almohades eurent été définitivement vaincus et réduits au territoire de Grenade où ils devaient se maintenir jusqu’en 1492, la rivalité fatale de la Castille et de l’Aragon se précisa. Le petit royaume de Navarre qui, sa dynastie

  1. C’est Alphonse VI qui en 1090 y rétablit le rite romain à la place du rite dit « mozarabe » qui s’y était créé peu à peu sous la domination arabe. Le même roi (les comtes de Castille avaient pris ce titre en 1033) obligea ses sujets à se servir des caractères latins au lieu des caractères gothiques dont ils avaient jusqu’alors gardé la tradition et que quelques réactionnaires obstinés continuèrent à employer.
  2. Le célèbre Cid (Rodrigue Diaz de Bivar) en demeure la personnification la plus célèbre. Il va sans dire que la légende a fort embelli ses traits.