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musulmanes contre des chrétiens, mais ne s’attardant jamais à des rancunes ou à des vengeances inutiles, le « grand comte » apparaît comme un précurseur de la « realpolitik ». Tout son effort de constructeur national visa à organiser la Sicile en vaste entrepôt du commerce international. L’île « aux trois faces » (Trinacria comme l’avaient appelée les anciens) lui était apparue dès le principe comme l’escale essentielle de tout le mouvement d’échanges entre le monde arabe et l’Europe occidentale. Son fils Roger II (1105-1154) acheva l’œuvre. De comte devenu roi, ayant pour finir annexé Naples et tout le sud de l’Italie dont il dépouilla son neveu (le fils de Robert Guiscard), il créa le vaste État qui devait s’appeler d’un nom bizarre : le royaume des Deux Siciles. Et ce fut probablement cette extension trop rapide et plus encore le luxe éclatant dont s’entoura la nouvelle monarchie qui lui suscitèrent tant d’ennemis. Roger II eut à faire face à des attaques volontiers coalisées du Saint-siège et des empereurs byzantin et germanique. Il les repoussa, porta même la guerre jusqu’à Athènes ce qui ne l’empêcha pas de diriger sur l’Afrique des troupes qui occupèrent Gabès, Sfax, Sousse, Bône. Partout où ses armes triomphaient, des exploitations agricoles naquirent, des comptoirs se créèrent. Il y avait à Thèbes des tissages de soie réputés. À l’aide de salaires surélevés, Roger attira les tisseurs à Palerme. Ainsi par tous les moyens s’efforçait-il de développer à la fois l’industrie et les échanges. Protecteur des savants et des artistes, il fit de sa capitale un centre intellectuel merveilleux tandis que les architectes appelés par lui y élevaient ces monuments dont la postérité n’a cessé d’admirer le caractère étrangement suggestif. Ainsi régna sur son royaume artificiel mais bien ordonné Roger de Hauteville, monarque d’esprit occidental et de silhouette orientale, entouré d’un luxueux harem et dirigeant lui-même la plus avisée, la plus pratique et la plus active des chancelleries.

La lignée normande transplantée s’épuisa vite. En trente-cinq ans (1154-1189) sous les règnes de Guillaume Ier et de Guillaume II, successeurs de Roger, la décadence s’affirma. Leurs impulsivités alternées de défaillances, les abus et les prévarications des gens de cour que ne retenait plus la main vigoureuse des fondateurs de l’État y portèrent le désordre. Frédéric Barberousse s’étant assuré l’héritage en mariant son fils à la princesse Constance, tante de Guillaume II et son héritière désignée, le trône de Sicile passa aux Hohenstaufen mais par une revanche ironique du sort le fameux Frédéric II devait se montrer bien plus Hauteville que Hohenstaufen.