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dociles à l’exemple ainsi donné, s’en inspirèrent les uns après les autres. Enfin — troisième élément de succès — ils eurent en mains un terrible et diabolique instrument de conquête : les janissaires. Cette milice créée par Aladin ne fut point, comme on l’a dit, la première force armée permanente mais elle fut établie sur un principe tout à fait inédit. Les janissaires étaient alimentés par les enfants prélevés de force et en masse sur les populations chrétiennes vaincues. Isolés, enfermés, surexcités dès le premier âge, ils en arrivaient vite à ne plus rien connaître que leur esprit de corps. Victor Bérard relève que certaines années on alla jusqu’à circoncire quarante mille enfants destinés au recrutement. Ces levées annuelles privaient les populations asservies de leurs éléments les plus virils et fournissaient en même temps au pouvoir dominateur une armée déracinée et fanatisée ; mais il faut avouer que peu d’institutions régulières dans l’histoire ont revêtu un caractère plus criminel que celle-là.

Que si nous passons à l’examen des causes qui ont frappé de stérilité le triomphe des Ottomans, il semble qu’il faille d’abord en rendre responsable la rapidité du zig-zag dessiné par eux à travers l’Asie. Transportés trop brusquement des steppes de la Caspienne aux rivages helléniques, il leur manqua de séjourner, comme l’avaient fait les autres Turcs dans le creuset civilisateur de la Perse. Leur préparation au rôle qu’ils allaient avoir à jouer fut de la sorte totalement insuffisante. Ce rôle par ailleurs leur imposa des formes mal adaptées à leurs capacités et comme un moule tout fait dans lequel ils se trouvèrent emprisonnés. Mahomet ii prit, par la force des choses, la place de Constantin xi et devint malgré lui le chef du vaste empire chrétien reconstitué par ses armes. On dit que, maître de Byzance (dont il laissa ses soldats saccager en vrais barbares les trésors artistiques et intellectuels) il ressentit profondément la mélancolie d’être parvenu au point où il avait toujours pensé que son ambition se sentirait apaisée. Elle ne l’était pas.… Mais cet homme intelligent sinon cultivé n’éprouvait-il pas plutôt une secrète inquiétude à l’idée d’avoir désormais à gouverner tout ce qu’il venait de conquérir ? En vain s’efforça-t-il d’échapper à la hantise d’une tâche qui le dépassait en se lançant dans de nouvelles et absurdes offensives. Il débarqua à Otrante voulant s’emparer de Rome. La mort l’arrêta. Ses successeurs ne furent pas plus heureux. Le terme était atteint d’une fortune démesurée, sans rapport avec le mérite. Le règne de Soliman dit le magnifique (1520-1566) marqua une sorte d’apogée comprise entre deux échecs retentissants subis par le prestige ottoman l’un sous les murs de