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la renaissance

reliquaire gothique bien différent cependant des églises du nord. En tout cela quelle prodigieuse variété, quelle imagination, quelle ingéniosité sans que se soit affirmée pourtant la conception dominatrice capable d’inaugurer une ère architecturale définie.

Que si nous abordons maintenant le domaine intellectuel, une pareille diversité s’y révèle. Il était immanquable qu’une réaction païenne intervint mais l’épicuréisme qui reparut ne fut point le produit d’un dilettantisme quelconque. Il jaillit de l’exubérance physique, de la joie folle de vivre, de l’aspiration à vivre double si possible. Les grands artistes du xvme siècle, un Vinci, un Cellini dont les aventures nous passionnent, devaient être à cet égard parents des étudiants vagabonds du xiime qui, lettrés et paillards, s’en allaient chantant la « messe du dieu Bacchus » et récitant Horace et Juvénal. L’opinion ne s’en choquait point. Elle était fort libre, cette opinion. Elle admettait qu’on jouât du poignard pour s’enrichir et mieux encore pour se venger mais non qu’on s’entretuât pour des idées. Elle ne détestait que les censeurs ; l’honnête réformateur Savonarole devait un jour en faire l’expérience. Les gens pieux du reste évoluaient de leur côté. Et celui dont il faut sans doute citer le nom en premier parmi les individualités qui modelèrent le piédestal de la Renaissance est un moine, Joachim de Flore (1132-1202) qui fut bien près d’être un hérétique et dont le doux François d’Assise, son contemporain, apparaît un peu comme le frère spirituel. Joachim annonçait un « évangile éternel » dont la prédication prochaine ferait régner parmi les hommes la bonté, l’indulgence et la douceur. L’ancien Testament avait correspondu à l’âge de la loi et de la crainte ; le nouveau à celui de la foi et de la grâce. Le Saint Esprit allait régner maintenant et ce serait l’âge de l’amour. Combien d’âmes se tinrent dans l’attente de ce renouveau bienheureux[1] et s’en trouvèrent vivifiées et consolées.

iii

Joachim de Flore et François d’Assise venaient de passer quand Frédéric II parut sur la scène. Par son père l’empereur Henri VI, il appartenait à la lignée des Césars germaniques. Par sa

  1. Nous retrouverons un phénomène analogue aux États-Unis six siècles et demi plus tard. Il faut remarquer du reste que le principe en remonte aux origines même du christianisme. Les premières sociétés chrétiennes ne jugeaient pas la fondation de l’Église complète et définitive. Il n’y avait encore ni dogme bien défini ni discipline fortement établie ; la croyance à une nouvelle apparition du Christ était très répandue. L’écho s’en prolongea longuement à travers les âges.