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l’état pontifical

dont la conscience était du reste chargée de nombreux crimes se rendit en pénitent au château de Canossa le pape l’attendait (1077). Grégoire VII commit alors la plus grande faute qu’il pût commettre. Au lieu de consacrer son triomphe par la mansuétude que lui dictait l’évangile, il humilia follement le souverain repentant et se l’aliéna à jamais. Sept ans plus tard, Henri IV entrait à Rome en vainqueur tandis que son adversaire retiré à Salerne sous la protection des princes normands y mourait bientôt, matériellement abattu mais moralement indomptable. De son œuvre devaient survivre l’indépendance de l’élection pontificale[1] et le célibat ecclésiastique. Sur ces deux points de longues résistances se produiraient encore mais le principe était acquis et les conséquences en seraient immenses. Par contre la papauté se trouvait engagée dans la voie de prétentions insoutenables.

On peut dire qu’à ce moment elle avait cessé d’être « méditerranéenne ». Son histoire en tant qu’institution allait se poursuivre dans le nord, en Allemagne et en France principalement. Mais l’État pontifical, lui, ne pouvait s’abstraire de l’Italie dont il occupait le centre. De là la marche boîteuse du Saint Siège constamment entravé par ses intérêts contradictoires et aux prises avec d’insolubles situations. Étrange tragédie dont les tableaux successifs se déroulent comme un film de cinéma. Voici les dernières années du xime siècle, l’appel à la croisade qui secoue toute l’Europe et témoigne de l’influence qu’y exerce le pape. Or, bientôt après, celui-ci est chassé de sa capitale révoltée tandis qu’à l’appel d’un moine vertueux mais exalté, Arnauld de Brescia, une sorte de pastiche de l’ancienne république romaine s’inaugure au Capitole (1155) et y brille passagèrement. Voici Alexandre III luttant pendant vingt-deux ans (1159-1181) et non sans succès contre l’empereur Frédéric Barberousse qui prétend asservir l’Italie ; puis le sablier se retourne et c’est l’empereur Henri VI qui, tenant à la fois le nord et sud de la péninsule semble devoir mettre Rome en tutelle définitive. Alors surgit Innocent III (1198-1216) : figure singulière, pape à trente-sept ans, dévoré d’activité, poursuivant à la fois la mise en valeur des domaines pontificaux, l’établissement d’une sorte d’arbitrage permanent sur les États chrétiens et l’extermination des hérésies qui, en Flandre, en Languedoc, en Provence, dans la haute Italie viennent de naître, annonçant la

  1. La pratique du conclave (cum clave, sous clef) proprement dit ne date que du concile œcuménique de Lyon en 1274. Pour en abréger la durée on décida que, s’il se prolongeait plus de trois jours les cardinaux enfermés ne recevraient plus à partir du troisième jour qu’un repas par jour. Cette rigueur ne dura pas.