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venise

ferme vivait dans la perpétuelle activité des flots, comme un gigantesque entrepôt flottant et il y régnait naturellement un peu de la discipline et de la solidarité qu’impose à bord des navires l’instinct du salut commun.

Il n’en faudrait point conclure que les Vénitiens aient réussi tout le long de leur histoire, à se désintéresser de la politique territoriale. Les circonstances les forcèrent à plusieurs reprises de s’y mêler et parfois aussi, des ambitions mal conçues. Les questions d’alimentation les mirent aux prises avec leurs voisins de la plaine du . La possession de Padoue leur importait pour leur sécurité. Ils furent en guerre avec Vérone et plus tard avec Milan. Bologne et Ferrare qui s’arrogeaient volontiers le contrôle de la navigation fluviale leur portaient ombrage. Tenir le Frioul leur parut une nécessité. De bonne heure ils avaient occupé la Dalmatie. Ils s’y maintinrent quatre siècles pour éviter que d’autres n’y prissent pied ; ils la défendirent successivement contre les Croates, les Hongrois et les Turcs ; ils y élevèrent des belles et artistiques constructions et y recrutèrent d’excellents soldats mais ils n’eurent aucun scrupule à couper les forêts et à étouffer le commerce local par crainte de voir se développer sur cette côte avantagée par la nature des concurrences inquiétantes. Le plus généralement, ils redoutaient la dépense et le péril d’une occupation souveraine. Lorsqu’après la prise de Constantinople par les croisés en 1204, ils se trouvèrent possesseurs « d’un quart et demi de l’empire byzantin » formule qui fut dès lors insérée dans les actes officiels, ils ne tardèrent pas à s’en alarmer. Ils gardèrent la formule parce qu’elle flattait leur amour-propre mais ils se défirent par d’ingénieux procédés de toutes les charges qui ne comportaient point de profits pécuniaires. Ce qu’il leur fallait, c’étaient des privilèges, des exemptions de droits, des concessions sous forme d’entrepôts et de ports francs, des points de relâche bien choisis et aisés à défendre. Ils en eurent partout : en Égypte, en Crète, à Rhodes, à Chypre, sur la côte d’Asie-mineure, dans le Péloponèse et jusqu’en Crimée, au fond de la mer d’Azof. Quand une emprise leur échappait, ils en substituaient une autre. À ce jeu la prospérité croissait en progression vertigineuse. À la fin du xivme et au début du xvme siècles, la richesse de Venise dépassait tous les pronostics. On y comptait plus de mille familles possédant entre deux cent et cinq cent mille francs de rente. Une banque d’État — la première en Europe — recevait des dépôts privés productifs d’intérêts. Venise comptait alors cent quatre vingt-dix mille