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saints sinon leur aspect primitif du moins leur autonomie. On pouvait s’en approcher et y faire ses dévotions. Les nouveaux convertis du nord, Germains, Francs, Scandinaves mûs par l’ardeur des néophytes ainsi que par la curiosité du voyage affluaient. À d’autres le pèlerinage était imposé en expiation de quelque crime. Des sortes d’agences de voyage fonctionnaient avec itinéraires combinés d’avance. À travers cet état de choses la conquête arabe ne jeta qu’un trouble passager ; d’abord, parce que le Christ ayant été honoré par Mahomet, les Arabes respectaient son tombeau ; ensuite parce qu’ils avaient intérêt à ne pas décourager un mouvement qui les enrichissait eux-mêmes. Charlemagne qui échangea des présents amicaux avec Haroun-al-Raschid reçut de ce calife une sorte de suzeraineté honoraire sur les lieux saints. Il l’exerça par l’envoi d’une ambassade annuelle chargée d’encourager et de surveiller les établissements hospitaliers qui avaient pris naissance en Palestine pour le service des pèlerins. Après l’effritement de l’empire de Charlemagne, ce privilège passa aux empereurs byzantins. Ainsi des relations satisfaisantes — et parfois presque cordiales — existaient en orient entre chrétiens et musulmans. Au début du xime siècle, après la terreur de l’an mille qui décidément n’avait pas amené la fin du monde, les pèlerinages redoublèrent d’intensité. Mais vers le soir de ce siècle, l’apparition des Turcs modifia entièrement la situation. On eut le sentiment d’un péril prochain, avant même qu’il ne se fût dessiné.

La papauté qui s’en émut la première jouissait alors d’un grand prestige moral. Elle venait d’affirmer son pouvoir en proclamant la « trêve de Dieu » par laquelle du mercredi soir au lundi matin de chaque semaine nul ne devait faire acte de violence envers son prochain sous peine d’excommunication. Il faut se transporter par la pensée au sein de la société d’alors livrée à ses instincts barbares pour apprécier le bienfait de cette détente hebdomadaire obligatoire. Il n’y avait là pourtant qu’un palliatif. Pour mettre fin à la crise dont souffrait l’occident en mal d’organisation civilisée, il fallait davantage. Quelque grande secousse était nécessaire. La force féodale inoccupée se dépensait en querelles armées entre les seigneurs. Les peuples en pâtissaient, soumis à des tyrannies locales exaspérantes. C’est alors que le pape songea à la « délivrance du tombeau du Christ ». On a voulu faire croire qu’il y avait eu là une pensée longuement mûrie par l’Église ; les documents sur lesquels on s’est appuyé pour le prouver ont été reconnus apocryphes. Le plan, au contraire,