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Mais en vain chercherait-on dans la production ainsi provoquée rien qui sente l’imitation. Rome a su préserver sinon l’originalité des formes puisqu’elle ne les a pas créées, du moins celle de l’esprit qui s’y est coulé. On peut bien comparer Salluste, César, Tite Live, Tacite à Hérodote, à Thucydide, à Xénophon, à Polybe mais leur manière de comprendre et d’écrire l’histoire ne rappelle guère la manière des historiens grecs. Encore moins Virgile se rattache-t-il à Homère. Les pièces de Plaute et celles d’Aristophane, les discours de Cicéron et ceux de Démosthène, les odes d’Horace et celles de Pindare, les poésies légères d’Ovide et celles d’Anacréon accusent de même des mentalités d’essence ethnique différente. Malgré que, dans son poème étonnant, De natura rerum Lucrèce n’ait, en somme, qu’assemblé en une fresque grandiose toutes les connaissances, les hypothèses et les déductions de la science grecque, l’œuvre demeure latine et il en est de même, à l’autre bout du cycle des Pensées de Marc Aurèle encore que l’empereur philosophe les ait écrites en langue grecque.

Ce cycle est plus bref et il est aussi moins riche que le cycle grec. Il ne renferme ni des philosophes comme Socrate, Platon et Aristote, ni des auteurs dramatiques comme Eschyle, Sophocle et Euripide. On n’y trouve pas de mathématicien valant Euclide, d’inventeur comparable à Archimède, de géographe égalant Strabon. Quant aux grands astronomes grecs, Rome, quand elle en a eu besoin, a utilisé leurs calculs mais sans chercher à les suivre dans le domaine de la haute spéculation. En philosophie elle s’est bornée à recueillir dans l’héritage de Pythagore quelques legs imprécis, à accepter en les exagérant certaines des conclusions d’Épicure ; elle ne s’est éprise vraiment que du stoïcisme de Zénon dont elle fit quelque chose de délimité, de rude et de solide rappelant les constructions de ses assises primitives. Tous les noms dont s’énorgueillissent les lettrés latines s’inscrivent entre Plaute, sorte de précurseur, mort en 184 av. J.-C. et Marc Aurèle mort en 188 ap. J.-C. La production grecque, elle, va du viiime siècle av. J.-C. au iime ap. J.-C. c’est-à-dire d’Homère et d’Hésiode à Plutarque, Épictète et Lucain. C’est, oserait-on dire, que Rome pouvait vivre, grandir, conquérir sans les travaux de l’Esprit mais non l’hellénisme. Ici, le corps s’adjoignit le cerveau et là, le cerveau fabriqua le corps.

Ce n’est pas seulement par l’éclosion des idées que se manifesta l’action grecque à Rome, c’est aussi par le perfectionnement du langage. Très instructive est, par exemple, la confrontation des différentes inscriptions retrouvées sur les sarcophages du tombeau