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empires du sud : inde

déjà devant les images qui surgissent de dieux idolâtriques : tel Indra, dieu de la foudre, ivrogne et batailleur. « Je quitte le dieu sans sacrifices pour le dieu qui reçoit des sacrifices » chantera un hymne postérieur. Ici la régression s’accuse nettement ; c’est une humanité qui recule.

La transformation ethnique et sociale s’accomplit parallèlement. La vallée du Gange était peuplée de Dravidiens, de Mongols immigrés, de survivants des sauvageries préhistoriques. Les Aryas soucieux de préserver leur race, s’y établirent en colonies autonomes mais dont l’autonomie ne put demeurer complètement étanche. L’énervement du climat rendait les blancs impropres à tout métier pénible. Dans le Penjab déjà, ils s’étaient accoutumés à recourir à la main-d’œuvre indigène ; ici, ils ne pouvaient s’en passer. Les habitants des villages indigènes vendirent leur travail. Les mésalliances suivirent. Toute union avec eux apparaissait sacrilège ; elle était interdite. Mais les blancs se reproduisaient mal sans le secours d’un sang déjà acclimaté. De cet ensemble de circonstances naquirent les castes. Les castes furent un instrument de défense instinctive, de résistance obstinée comme il en naît dans les sociétés animales. Envisagées sous cet angle qui est le vrai, elles ne méritent pas la sévérité avec laquelle on les a jugées en Europe. Le principe, en tous cas, en était justifié.

Au sommet, la caste des Brahmanes s’érigea en gardienne de la race et s’appuya sur le respect absolu des traditions ; il ne pouvait manquer d’en résulter un formalisme exalté et, bientôt, une tyrannie véritable. Les Brahmanes devinrent vite trop nombreux pour se limiter aux fonctions sacerdotales. Il y en eut de laïques ; il y en eut de très riches et de très pauvres ; on en trouva occupés aux métiers les plus vils sans que leurs prétentions orgueilleuses se fussent pour cela atténuées. Au point de vue intellectuel, deux courants divergents se dessinèrent. Les Brahmanes en contact avec le bas-peuple s’adonnèrent aux superstitions grossières et même à la sorcellerie. Au contraire ceux auxquels étaient permises les pures spéculations de l’esprit s’élevèrent à des hauteurs surprenantes. C’était, bien entendu, le petit nombre. Parmi ceux-là on trouve les précurseurs de tous les systèmes à la construction desquels la philosophie européenne s’est employée par la suite. Il y eut ainsi, dans l’Inde primitive, des scolastiques et des cartésiens et des spinozistes. Schopenhauer, dit-on, a éprouvé quelque stupeur à découvrir ses propres idées exposées par Kapila qui vivait