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avant-propos

essentielles de temps et d’espace qui doivent en quelque sorte servir de norme à l’esprit humain, se trouvaient faussées. Les exactes proportions sont aujourd’hui rétablies telles que les conditions de l’évolution générale les ont déterminées et non telles que les avaient fictivement fixées les orgueils nationaux et les ignorances sédentaires.

Par là l’histoire universelle qui n’était et ne pouvait être jusqu’ici qu’une aspiration devient une possibilité. En même temps s’affirme sa nécessité car elle constitue le cadastre sans le secours duquel les histoires régionales ou spéciales ne sauraient donner lieu qu’à un enseignement hypertrophié ; et les conséquences d’un tel enseignement se font volontiers sentir en de multiples domaines, notamment dans celui de la vie publique qui s’en trouve déréglée et de la vie internationale qui risque d’en être dangereusement exacerbée.

Pour étudier l’histoire il convient de se défaire de certains préjugés dont le pli a été fâcheusement pris. Le premier consiste à assimiler la vie des peuples à celle de l’homme. Jeunesse, âge mûr, vieillesse, décrépitude, ce seraient les stages obligatoires de chaque nation. Ce préjugé a dominé la mentalité du xixme siècle, surtout dans sa seconde partie ; bien des fautes politiques, bien des aberrations de l’opinion en provinrent. Ce sont des hommes de ce siècle pourtant, Frédéric Le Play en tête, qui se sont inscrits en faux contre cette théorie inexacte et malfaisante. Ils ont montré que la jeunesse des peuples est indéfiniment réfectible par leur propre effort et l’observation des saines coutumes sociales. Les événements l’ont démontré parallèlement en prouvant que seuls meurent les peuples qui consentent à mourir. En l’espace de cent ans, la résurrection de la Grèce et celle de la Pologne témoignent que les nations animées d’une foi ardente en leurs destins demeurent vivantes jusqu’au fond du tombeau.

Un second préjugé consiste à envisager les apports moraux des races qui ont composé une synthèse nationale comme exactement proportionnels à la quantité de sang infusé. Or les caractères essentiels d’une race mêlée à une autre ne survivent pas au sein de la collectivité ainsi formée en concordance absolue avec le nombre des individus ayant participé à la fusion. Des exemples étonnants de survivance disproportionnée nous ont été fournis par l’époque contemporaine. Nous continuons pourtant à raisonner comme si la vieille notion ethnique basée sur le nombre avait conservé sa valeur intégrale.

Et voici un troisième et un quatrième préjugés habituels.