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avant-propos

révéler un être destiné à se nourrir des fruits du sol plutôt que de la chair des animaux. C’est conduit par les circonstances qu’il devint, selon les cas, chasseur, pêcheur, possesseur de troupeaux qu’il fit paître, agriculteur enfin après qu’il eût découvert, à force d’observation et d’expériences, le mystérieux prodige de l’ensemencement. Le travail à son tour, détermine la nature et les aspects de la propriété et ces deux éléments combinés influent sur la famille, y établissant la prépondérance du père ou celle de la mère, fixant les tendances polygames ou monogames, provoquant l’essaimage ou la cohésion, c’est-à-dire la fondation par les enfants mariés de foyers distincts ou leur maintien au foyer central.

Toute puissante à l’époque préhistorique, l’influence du milieu le fut encore en ces temps historiques ou les civilisations se développaient isolément, où les peuples même voisins continuaient de s’ignorer ou bien, se connaissant, d’entretenir à l’égard les uns des autres des sentiments méfiants et hostiles. Au vrai, son action s’est prolongée jusqu’à l’époque moderne. Aujourd’hui elle décline rapidement, contrariée par le progrès des transports indéfiniment facilités et surtout par la transformation de l’habitation où les perfectionnements de l’éclairage et du chauffage tendent à uniformiser l’existence.

Le progrès s’est accompli pour l’humanité primitive principalement par l’imitation et les contacts. Imiter la nature, l’animal, s’imiter soi-même, telles furent les premières préoccupations de l’homme. Et si nous possédons aujourd’hui d’autres instruments de progrès, il convient d’observer que ceux-là comptent encore parmi les plus puissants et les plus actifs. Une bonne partie des fonctions sociales repose sur la loi d’imitation. Mais il existe un certain nombre « d’inventions » fondamentales dont le rôle est si usuel que nous oublions de nous souvenir du geste spontané ou réfléchi par lequel elles surgirent jadis.

La route s’est inventée d’elle-même ; les hommes et souvent les animaux la dessinèrent d’instinct en suivant leurs propres traces. Mais le pont, l’étoffe, la roue, le levier, le bateau, la poterie, l’écriture enfin, voilà les bases profondes de notre civilisation, voilà les assises géantes enfouies dans le sol, les bienfaits inestimables que nous ont légués nos ancêtres inconnus. Que l’idée du pont soit née de deux arbres s’inclinant l’un vers l’autre au-dessus d’un cours d’eau et reliés peut-être par une liane suggestive — que l’idée du bateau soit issue d’un tronc d’arbre creusé