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les voies de l’amour

Le bonheur dont j’avais joui depuis ma plus tendre enfance, et qui s’était prolongé pendant toute ma jeunesse, ma vie d’étudiant et après mon mariage, m’avait laissé ignorer la vie réelle, ses déboires comme ses déceptions. Je n’avais jamais vu que le bon côté de la vie. Heureux voyageur dans un frêle esquif, j’étais parti de la source même d’un fleuve, aux ondes paisibles, coulant entre deux rives aux beautés et aux charmes continuellement enchanteurs. Jamais de vents contraires n’avaient ballotté ma barque ; jamais de récifs n’en avaient détourné la direction ; jamais de courants rapides ne l’avaient secouée. J’allais toujours, poussé par une brise douce et rafraîchissante, sur l’onde qui réfléchissait toujours un ciel bleu ou rose. Un aviron délicat, obéissant facilement à ma volonté et à ma main, me faisait décrire des méandres nombreux autour des îles variées où des plaisirs divers m’attiraient. Je voguais longtemps, toujours heureux, toujours gai, sans souci du lendemain, ne comptant jamais les heures, ne mesurant jamais la distance parcourue. Je voguais vers un horizon qui s’éloignait toujours sur l’onde paisible et sous le ciel sans nuage ; plus j’avançais plus les rives me paraissaient belles, bordées qu’elles étaient de bosquets aux feuillages multicolores, ou de prairies fleuries et riantes. À l’aurore, le soleil montait dans de l’or et de l’argent ; au crépuscule, il descendait dans de la pourpre ou de l’or.