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les voies de l’amour

au milieu de sa cour, c’était mon seul plaisir et mon seul talent. Je n’avais jamais vu autre chose que des arbres, des terrasses, des clôtures, des haies et des animaux. Parfois sur mes toiles, je peignais une jeune fille à qui je cherchais à donner ma ressemblance. Je la mettais debout sur le perron, jetant des miettes de pain ou des grains de blé aux nombreux poussins qui becquetaient les perles de ses souliers ou se faufilaient dans les plis de sa robe, s’étalant en un large cercle autour d’elle. Près d’elle, j’essayais de reproduire l’image d’un beau jeune homme qui l’aurait contemplée avec ravissement, tout prêt à lui tendre les bras pour l’enlacer dans un élan d’amour. J’aurais voulu mettre sur la bouche du jeune homme un sourire invitant et dans ses yeux l’appel qui fit passer un frisson sur la peau sensible de la jeune fille. Mais toujours mon pinceau barbouillait des figures mâles d’une laideur affreuse, rébarbative. Il me semblait alors voir la jeune fille s’animer, grimacer et détourner la tête dans un mouvement de crainte. Je peignais toujours la tête du seul homme qu’il me fût permis de voir, l’homme de cour de mon père. Comment aurais-je fait autrement, je ne voyais d’homme que lui et il était si laid. Et de colère je lui jetais à la tête mon éponge qui l’éclaboussait.

« J’étais cependant une jeune fille comme toutes celles qui peuvent aimer. Parfois dans le bonheur de ma