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une corneille enlève le peigne d’une jeune femme, puis le laisse tomber dans la mer, où il est avalé par un poisson. Il n’y aurait pas lieu de s’étonner si, quelque jour, on rencontrait dans cette même Inde, la forme plus simple de ce sous-thème, telle que la présentent les contes indo-chinois.

Mais ce qui est vraiment surprenant, — bien connu, d’ailleurs, — c’est que dès avant le temps du géographe grec Strabon (ier siècle avant notre ère), les Grecs établis en Égypte racontaient, au sujet d’une de leurs compatriotes, l’anecdote suivante, que Strabon (liv. XVII, ch. I, § 33) qualifie de fable (μυθεούσι) :

Un jour que la courtisane Rhodôpis était à se baigner [dans le Nil], un aigle enleva une de ses chaussures (ἔν τῶν ὑποδημάτών αὐτῆς) des mains de sa servante, et s’envola vers Memphis, où, s’étant arrêté juste au-dessus du roi qui à ce moment rendait la justice en plein air, il laissa tomber la chaussure dans les plis de son vêtement. Frappé des élégantes proportions (τῷ ῥυθμῷ) de la chaussure et de l’étrangeté du fait (τῷ παραδόξῳ), le roi envoya par tout le pays à la recherche de la femme qui portait cette chaussure (τῆς φερούσης ἀνθρώπου τοῦτο) ; on la trouva dans la ville de Naucratis et on l’amena au roi, qui l’épousa. »[1]

Certainement, si l’on fait abstraction du merveilleux qui entre dans les contes du type de Cendrillon et de maint détail non sans importance, l’historiette de Rhodôpis et de son soulier est le pendant de Cendrillon,… un pendant-squelette.

Mais, nous devons le dire, le trait du soulier non point perdu, mais enlevé par un oiseau, nous avons eu beau le chercher dans toutes les Cendrillons de notre connaissance ; nous ne l’avons rencontré, du moins pour le moment, que dans le groupe de contes de l’Indo-Chine. Et, dans ce groupe lui-même de contes indo-chinois, — reflets certains de contes indiens, — le trait du soulier enlevé par l’oiseau, cette caractéristique de la fable de Rhodôpis, n’est plus qu’une variante, une simple variante, la variante aérienne, qui vient se mettre à son rang et place, à côté de la variante terrestre, la plus naturelle et qui paraît reproduire le thème primitif, et de la singulière variante aquatique[2].

  1. Près de deux siècles après Strabon, un autre auteur grec, Elien, lui empruntait cette historiette, en l’enjolivant un peu et en donnant au roi d’Égypte le nom de Psammétichus (Histoires diverses, 1. XIII, ch. 35).
  2. Le plan de ce travail ne comporte pas, on le sait, une étude quelque peu approfondie du conte de Cendrillon. Nous croyons pourtant devoir faire ici un rapprochement qui aura son utilité immédiate. — Les contes indo-chinois présentent, après le mariage de l’héroïne avec le fils du roi (ou le roi), toute une dernière partie dans laquelle la fille de la marâtre tue la jeune princesse et se substitue à