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Mais toutes ces pantoufles n’auraient-elles pas été des babouches ? Il n’est pas hors de propos de citer ici un passage d’un drame célèbre de l’Inde, Le Chariot de terre cuite[1].

Dans ce passage, le « bouffon » (vidûshaka), personnage obligé des drames hindous, dépeint de visu la mère de la riche courtisane Vasantasenâ (il s’adresse à une servante, à l’entrée du magnifique palais de Vasantasenâ).


Le Bouffon. — Ma bonne, quelle est celle-ci, drapée dans un vêtement lâche, avec des pieds luisants d’huile, glissés (nikshipta, « déposés sur ou dans ») dans une paire de babouches (ubânaha), et qui se tient assise sur un trône élevé ?

La Servante. — C’est la mère de madame.

Le Bouffon. — Oh ! quel ventre a cette vilaine sorcière ! Mais quoi ! On l’aura mise là, comme Mahâdeva, pour servir d’ornement à la porte ![2]


Ces ubânaha (forme prâcrite du sanscrit upânah)[3], semblent être des babouches, c’est-à-dire des pantoufles sans quartier ni talon : les ubanâha de la matrone indienne laissent paraître ses pieds, que la bonne dame a bien oints d’huile.

D’après un vieux dictionnaire de synonymes sanscrits, l’Amara-Koça, le « Trésor d’Amara » (Cf. les Thesaurus de Robert et d’Henri Estienne), — dont l’auteur, Amara Simha, est donné par la tradition comme ayant été, en même temps que le grand poète Kâlidâsa, une des « Neuf Perles » de la cour du légendaire Vikramâditya[4], — le mot pâdukâ du Râmâyana et des Djâtakas est le synonyme du mot upânah (l’ubânaha du drame indien). En résulterait-il que les chaussures de Pabhâvatî, et aussi celles de Rama et du roi du djâtaka, auraient été également des babouches ?

  1. Ce drame a été traduit par H. H. Wilson, dans son Hindu Theatre. Le passage que nous avons à citer se trouve, vol. I, p. 87 (XI des Œuvres complètes). — M. L. Finot a bien voulu nous en donner une traduction strictement conforme à l’original.
  2. Allusion, nous dit M. Finot, aux « gardiens de portes » qu’on voit à l’entrée de tous les temples d’Extrême-Orient, géants à gros ventre et plus ou moins grimaçants.
  3. Dans les anciens drames hindous, les dieux, les rois, les ministres, les brahmanes parlent sanscrit ; les autres personnages emploient un dialecte vulgaire, un prâcrit (les femmes, un prâcrit particulier).
  4. L’Amara-Koça a été publié en 1839, avec traduction française, par Loiseleur-Deslongchamps.