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sanscrit le Râmâyana, poème qui, si l’on ne peut fixer l’époque de sa composition, ne date certes pas d’hier. Dans un épisode fameux[1], le héros Rama, fils aîné du roi d’Ayodhyâ (Oude), est déshérité par son père à l’instigation de sa marâtre, et la couronne est attribuée au fils du second mariage, Bharata ; de plus, Râma est banni pour quatorze ans. Mais Bharata déclare qu’il ne prendra le pouvoir royal que comme un dépôt, qu’il rendra à son aîné quand celui-ci reviendra d’exil. « Retire de tes pieds, dit-il à Râma, ces pantoufles ornées (bhûsite) d’or ; elles assureront la paix et l’union du monde entier. » Et, Râmâ s’étant déchaussé, Bharata se met d’abord les pantoufles sur la tête, puis il les salue ; ensuite, s’adressant à ses sujets, il leur explique que « l’autorité qui réside dans la dignité royale est figurée par les deux pantoufles de son aîné ». Il fait porter devant ces pantoufles les insignes de la royauté, le parasol et le chasse-mouches en queue d’yak, et c’est « en leur présence » qu’il « proclame tous ses arrêts[2] ».

Dans cet épisode du Râmâyana, le mot sanscrit qui est traduit par « pantoufles », est le mot pâdukâ (de pada, « pied »). C’est ainsi également que sont appelées les chaussures que nous trouvons mentionnées dans deux de ces vieux djâtakâs, de ces histoires des existences antérieures du Bouddha où, selon les lois de la métempsycose, il est tantôt prince, tantôt homme du peuple, quand il n’est pas esprit céleste ou animal.

Dans le Djâtaka n° 546[3] , un des ministres d’un roi, jaloux du crédit dont le Bodhisattva (le Bouddha in fieri) jouit auprès du souverain, veut faire croire à celui-ci que son favori a volé la pantoufle d’or royale (the golden slipper, dit la traduction anglaise).

— Dans le Djâtaka n° 531[4], on relèvera ce détail de ménage : la servante de la belle Pabhâvatî, fille du roi de Madda, pour mieux balayer la chambre de sa maîtresse, « ôte même les souliers » (shoes, traduction anglaise), que Pabhâvatî a laissés traîner.

  1. Alfred Roussel (traducteur), Le Râmâyana de Vâlmiki (Râlakânda et Ayodhyâkanda), Paris, 1903, p. 560 et suiv.
  2. Dans l’Inde, nous dit M. L. Finot, une personne respectable est symbolisée par ses pieds, parce que l’inférieur se prosterne aux pieds du supérieur. Dans le Râmâyana, les pâdukâ, les pantoufles, sont le substitut des pieds absents.
  3. The Jataka. Traduction anglaise, vol. VI (Cambridge, 1907), p. 185.
  4. Op. cit., vol. V (1905), p. 156.