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Dans ce conte, publié au commencement du xviiie siècle, l’épisode du Sang sur la neige s’enchaîne, on le voit, avec le conte indien des Trois Citrons. Il n’y a, du reste, là rien d’étonnant ; car, d’autres contes de la famille des Trois Citrons ont aussi pour introduction, ainsi que nous l’avons dit plus haut, le thème du Sang sur la neige. Mais ce qui est tout à fait particulier, c’est le dénouement (la transformation de la jeune femme en palais et le reste). Avant 1880, date de la publication des Indian Fairy Tales de miss Maive Stokes, on ne connaissait absolument rien de semblable à ce dénouement ultra-bizarre. Or voici que, grâce à l’une des conteuses de miss Stokes, nous sommes aujourd’hui en mesure de mettre en regard de ce même dénouement un récit indien identique[1].

La présence de ce dénouement tellement indien dans la combinaison de thèmes qui constitue Incarnat, Blanc et Noir, est une véritable marque de fabrique, un Made in India. Une conclusion s’impose : Si le conte a été fabriqué dans l’Inde, le thème du Sang sur la neige, tout aussi bien que les thèmes combinés avec lui, faisait partie du magasin dans lequel le fabricant hindou allait chercher ses matériaux ; le thème du Sang sur la neige est hindou, comme les autres.

Dira-t-on que ce serait le rédacteur français anonyme de 1718 qui aurait été le fabricant ? Mais un de ses éléments principaux lui aurait manqué, le thème du dénouement, lequel, nous le répétons, n’existe, à notre connaissance, dans le folklore d’aucun pays occidental, et n’a même été découvert dans l’Inde que très récemment. Supposer que cet anonyme aurait été en état de combiner lui-même tous ces éléments, pris un peu partout, ce serait supposer qu’il était outillé comme on ne pouvait l’être à son époque. Le plus simple et le plus vraisemblable, c’est d’admettre que le conte d’Incarnat, Blanc et Noir a été pris dans quelque ouvrage oriental (il y a tant d’inédits !) provenant plus ou moins directement de l’Inde.

Mais alors, — nous insistons là-dessus, — tout, dans ce conte, provient de l’Inde, l’épisode du Sang sur la neige comme le reste. Et l’argument que nous avons tiré de notre thèse des courants se trouve singulièrement fortifié.

Assurément, nous ne prétendons pas donner cette conclusion

  1. Les quelques adoucissements, que la forme primitive a subis dans la version du conte donnée par le livre français de 1718, sont en dehors de la question. Il s’agit ici de l’identité foncière, laquelle est hors de tout doute. Sur ces adoucissements, voir notre précédent travail, loc. cit.